Le son des CD des albums des Beatles, lancés en 1987, a un petit quelque chose de préhistorique aujourd'hui. Ces dernières années, une équipe d'experts s'est affairée à les dépoussiérer et ces «nouveaux» CD seront en magasin le 9 septembre. Conversation sur les avantages et les limites de cette remise à neuf avec le coordonnateur du projet, Allan Rouse.

Remastériser, ce n'est pas remixer. La nuance est essentielle, insiste l'ingénieur Allan Rouse, à qui EMI et Apple Corps ont confié la responsabilité de coordonner la remastérisation des albums des Beatles.

«Prenons un vieux tableau à l'huile, exposé dans un musée depuis 300 ans, répond l'ingénieur britannique. Quand on remastérise, c'est un peu comme si on nettoyait ce tableau pour en faire ressortir la brillance, la lumière, l'éclat. Mais nous n'ajoutons pas une autre fleur à ce tableau, ce qu'on peut faire quand on remixe. En remixant, on peut modifier la position des instruments ou de la voix. C'est un changement plus extrême. Mais cette fois, on savait exactement à quoi on s'attaquait: la musique des Beatles est le saint Graal, la «vraie affaire», et nous l'avons traitée avec révérence.»

Allan Rouse connaissait les limites de son mandat: transférer les enregistrements analogues des Beatles sur un support numérique et nettoyer les imperfections de la bande maîtresse tout en privilégiant l'authenticité et l'intégrité des enregistrements d'origine.

«Heureusement, on s'était libérés de la tentation du remixage en en faisant beaucoup ces dernières années: Yellow Submarine pour le film en Dolby Digital 5.1 et pour l'album de la bande originale, toute l'Anthology des Beatles sur DVD en 5.1 et en stéréo en plus de Help!, Let It Be Naked et Love. Ce qui nous a beaucoup aidés, c'est que les transferts numériques sont supérieurs à ceux d'il y a 22 ans; l'équipement numérique était tellement nouveau, et pas très bon, à l'époque. Nous avons tout de suite noté une nette amélioration en comparant les nouveaux transferts avec ceux de 1987.»

Fans et connaisseurs

L'équipe d'Allan Rouse a consacré l'équivalent d'un an, réparti sur les quatre dernières années et demie, à cette tâche. Rouse et son collègue Mike Heatley ont même poussé le zèle jusqu'à vérifier la qualité de tous les enregistrements remastérisés dans un studio différent.

«Écoutez, on peut affirmer que les Beatles sont encore le groupe le plus important au monde, répond Rouse sur le ton de l'évidence. J'ai donc décidé que la pression de ce travail n'allait pas reposer sur les épaules d'un seul homme. Nous avons rassemblé une équipe de gens qui ne sont pas seulement des fans des Beatles, mais qui connaissent à fond leur oeuvre pour avoir travaillé depuis 12 ans à différents projets à partir des bandes d'origine, y compris le jeu vidéo Rock Band. En réécoutant les CD remastérisés, nous devions décider s'ils étaient allés trop loin, ou pas assez, dans leur travail, si la voix, par exemple, était trop claire. Le cas échéant, nous en rediscutions. L'important, c'était que nous soyons tous d'accord à la fin.»

Les ex-Beatles Paul et Ringo n'ont pas participé à ce processus, pas plus que leur réalisateur George Martin, dont les problèmes d'ouïe ne lui permettent plus de faire un travail aussi technique. «Nous leur avons présenté notre travail complété en début d'année et nous avons attendu leurs commentaires, raconte Rouse. Il n'en ont pas fait.»

Ceux qui ont acheté le CD du spectacle Love du Cirque du Soleil ne doivent pas s'attendre à des résultats aussi spectaculaires, prévient Rouse: «Love était une expérience d'écoute avec plusieurs haut-parleurs. Si vous avez le DVD de Love, vous pouvez l'écouter en 5.1 à la maison, comme le DVD de l'Anthologie. Chaque fois que quelqu'un remixe de la musique comme pour Love, même George Martin, c'est une interprétation, ce n'est plus la pièce d'origine, tandis que ces CD remastérisés sont justement les matrices, en stéréo ou en mono, qui ont été créées par George Martin, les ingénieurs et les Beatles dans les années 60.»

Maintenant, la question qui tue: est-il concevable que dans 20 ans, avec le progrès de la technologie, on nous propose encore d'autres enregistrements des Beatles de qualité nettement supérieure à ceux de 2009?

«Les versions de 2009 sont très proches des matrices, et c'est impossible de faire mieux que les originales, répond Rouse. L'avantage d'avoir attendu 22 ans pour les remastériser, contrairement à certains groupes dont les disques l'ont été plusieurs fois (les Stones, quelqu'un?), c'est que le changement est pas mal plus évident.»

Jouer aux Beatles

C'est également le 9 septembre que sera lancé le jeu vidéo The Beatles: Rock Band, le premier du genre consacré exclusivement à un groupe. On nous promet un pèlerinage dans l'histoire des Beatles, de leurs spectacles au Cavern Club de Liverpool, en 1963, à leur tout dernier concert sur le toit d'Apple, en janvier 1969. The Beatles: Rock Band comprendra 45 chansons remixées du groupe. Par la suite, on pourra acheter en sus des albums complets ou des chansons à l'unité de ces albums et les télécharger en commençant par Abbey Road le 20 octobre, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band en novembre, et Rubber Soul en décembre. Le jeu comprendra aussi des extraits inédits de conversations en studio entre John, Paul, George et Ringo.

Du bonbon pour les oreilles

Récemment, La Presse a pu écouter une vingtaine de chansons remastérisées des Beatles et les comparer avec les CD de 1987. Le résultat est tout aussi réjouissant qu'étonnant.

Cette musique que l'on connaît pourtant par coeur acquiert une profondeur, un éclat qui étaient à peine perceptibles sur les CD qu'on écoute depuis une vingtaine d'années. La batterie de Taxman est plus rentre-dedans, les voix sur Sgt. Pepper's, In My Life ou And Your Bird Can Sing sont plus proches, les chansons orchestrales (Yesterday, The Long and Winding Road et même Goodnight qui donne l'impression de renaître) sont plus chaleureuses. Même une perle des débuts comme Twist and Shout est plus ronde, plus enveloppante, plus riche. Les guitares de Hey Bulldog, Things We Said Today et I've Got a Feeling ont plus de punch que jamais et on apprécie davantage, parce qu'on l'entend plus nettement, le joyeux bordel des chansons expérimentales de Lennon (Tomorrow Never Knows, I Am the Walrus).

Le menu

Les CD des Beatles - leurs 12 albums britanniques en stéréo plus Magical Mystery Tour et les deux Past Masters regroupés sur un CD - seront disponibles à l'unité ou dans un coffret qui coûtera un peu moins de 250$. Ce sera la première fois que leurs quatre premiers albums seront disponibles en stéréo sur CD. Chaque livret sera enrichi de textes apportant un nouvel éclairage sur le disque. Ce coffret comprendra un DVD de mini-documentaires d'environ cinq minutes chacun sur le making of des albums. Sur chaque CD acheté à l'unité, on trouvera un lien Quick Time permettant de visionner le documentaire correspondant. Ces petits films, que La Presse a vus, sont des compléments fort bien faits qui, en plus d'extraits de l'Anthologie, comprennent des documents visuels et sonores inédits. Les collectionneurs pourront aussi se procurer un coffret mono comprenant tous les albums lancés en mono - donc sans Yellow Submarine, Abbey Road et Let It Be - et deux CD de chansons additionnelles en mono sur le modèle des Past Masters. Les versions mono de Help! et Rubber Soul contiendront aussi les mix stéréo originaux de 1965 qui n'ont jamais été disponibles sur CD.