Le directeur du théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant, est l'un de nos grands metteurs en scène à Montréal. Il le prouve une fois de plus en dirigeant la première pièce de Rachel Graton, La nuit du 4 au 5, avec doigté, rythme et grande sagesse.

Un texte, au demeurant, bien écrit et construit qui, malgré certaines redondances et maladresses se voulant comiques, nous parle de la tragédie des femmes agressées sans tomber dans le pathos et nous questionne, encore plus largement, sur la société dans laquelle se déroulent de telles atrocités.

Dans La nuit du 4 au 5, une jeune femme est agressée, physiquement, sexuellement. À partir de là, un processus s'enchaîne: l'hôpital, la police, la douleur, la honte... Après le choc, la jeune femme n'est plus la même, sa mémoire s'embrouille. Elle souffre.

C'est du moins ce qu'on en déduit puisque ces événements ne sont pas représentés sur scène. Ils sont récités, déclamés, décrits de façon presque brechtienne, parfois, ou à d'autres moments de façon plus ou moins réaliste par des témoins qui ne sont pas d'accord entre eux.

Cette distance permet au spectateur de faire son propre chemin, de slalomer entre les clichés, les préjugés et les déclarations divergentes. De comprendre, surtout, la profonde complexité des émotions sans les (re)vivre.

Lecture difficile

Au début de la pièce, on se croit devant des commentaires de réseaux sociaux oscillant entre empathie, haine et colère. Puis, les acteurs (Alexis Lefebvre, Johanne Haberlin, Simon Landry-Désy et Louise Cardinal) nous «montrent» les divers témoins, aidants, policiers et intervenants sociaux, ainsi que la victime (Geneviève Boivin-Roussy). Toujours avec un minimum d'émotion. 

C'est là qu'agit avec tout son art Claude Poissant, dirigeant ses comédiens comme un petit orchestre avec solos, duos, trios, etc. Il donne le ton juste et le rythme adéquat aux différentes étapes du retour de la jeune victime d'entre les morts en faisant appel à notre intelligence plutôt qu'à la catharsis.

Sur une scène totalement dépouillée, mais habillée de merveilleux éclairages, ce requiem lucide, qui ne précède pas ici un enterrement, mais plutôt une cérémonie du souvenir, nous place devant des humains évanescents, presque translucides par moments. Figures de l'innommable.

Il s'agit d'une lecture difficile, exigeante pour des acteurs à qui on demande d'en faire moins pour arriver à l'essence du texte. Les instruments n'étaient d'ailleurs pas tout accordés à la perfection, mardi, lors de la première médiatique, mais cela n'enlève absolument rien à la qualité de chacun des musiciens et de leur brillant chef d'orchestre.

* * * 1/2

La nuit du 4 au 5. De Rachel Graton. Mise en scène de Claude Poissant. Théâtre d'aujourd'hui jusqu'au 20 octobre.