Ce fut sans doute le concert le plus improbable de l'année auquel a assisté un Théâtre Maisonneuve plein à craquer hier soir : un Brésilien qui chante en portugais du David Bowie, l'un des grands disparus de l'année qui s'achève.

Seu Jorge n'était pas moins étonné quand le cinéaste texan flyé Wes Anderson l'a appelé pour lui proposer de chanter du Bowie dans sa langue natale dans son film The Life Aquatic with Steve Zissou, sorti en 2004. L'acteur et chanteur brésilien nous l'a dit dans un français fort convenable : tout ce qu'il connaissait de Bowie alors, c'était This Is Not America - la chanson du film The Falcon and the Snowman dont la paternité avait été partagée avec Pat Metheny - et Let's Dance. Mais voilà, Anderson voulait que cet homme qui était plus familier avec Mas Que Nada, dont il nous a servi un petit bout hier, s'attaque aux classiques du père de Ziggy Stardust.

Ça prenait bien Wes Anderson pour demander à un Brésilien qui n'avait aucun talent pour le soccer de jouer un personnage prénommé Pelé, nous a dit en substance Seu Jorge. Il ne parlait pas un traître mot d'anglais et ne connaissait ses camarades acteurs que par les titres de leurs films. « Tiens, elle [Anjelica Huston], c'est La famille Addams, l'autre là-bas [Bill Murray], c'est Ghostbusters. »

On ne pourra certes pas taxer l'ami brésilien d'opportunisme. Au milieu des années 2000, quand il a enregistré son album de versions bossa de Bowie, The Life Aquatic Studio Sessions, ce sont ses propres chansons qu'il était venu chanter au Club Soda et au Spectrum. Plus encore, ce n'est que 12 ans après la sortie du film d'Anderson que Seu Jorge s'arrête aujourd'hui dans 13 villes nord-américaines pour chanter Bowie, une idée que lui a lancée son ex-femme quand il a eu la douleur de perdre son père trois jours après la mort de Bowie. 

Ce concert se voulait donc un hommage au grand artiste britannique en même temps qu'un coup de chapeau au paternel.

L'enfant des favelas de la banlieue de Rio a donc pris place sur son tabouret avec sa guitare acoustique, entouré d'un gouvernail et d'objets hétéroclites évoquant la vie sur l'eau. Il portait évidemment le costume turquoise de l'équipage du Belafonte, sans oublier la tuque rouge qui couvrait le chef de plus d'un aspirant membre de Team Zissou dans la salle hier soir.

Mais l'heure n'était pas à la blague et ce n'est qu'au rappel, quand il a chanté une deuxième fois Rebel, Rebel et Oh ! You Pretty Things avant de se lancer dans l'énergique Queen Bitch, qu'on a vu apparaître sur un écran derrière le chanteur la joyeuse bande de l'océanographe-cinéaste Zissou. On a reconnu parmi eux Pelé, le spécialiste de la sécurité, qui passait son temps à gratter sa guitare en chantant du Bowie.

Pendant l'heure qui a précédé ce rappel, Seu Jorge a chanté de sa voix chaude, tantôt caressante et tantôt même déchaînée, des chansons que tout le monde connaît, sauf When I Live My Dream du jeune Bowie, en leur insufflant une bonne dose d'émotion.

Il a emprunté la version brésilienne de Starman (O Astronauta de Mármore) à un groupe de Porto Alegre mais c'est quand il a prêté sa voix de baryton à une Rock 'n' Roll Suicide bouleversante et qu'il s'est abandonné à la magnifique Quicksand qu'on a senti toute la pertinence de cet hommage à Bowie. On avait beau ne rien comprendre à ce qu'il chantait, on ressentait ces chansons de façon viscérale.

C'est un peu ça, la magie de la musique dont nous parlait à juste titre Seu Jorge.