On l'a dit et répété: le retour de Charles Dutoit à l'OSM serait l'événement musical de l'année à Montréal. Il fallait que ce soit aux côtés d'une autre légende, la grande Martha Argerich. Ensemble, ils nous ont donné une soirée à la hauteur des attentes et forte en émotions.

Le maestro arrive sur scène comme s'il en était sorti la veille et que tout était normal. Il semble en très grande forme. La mise en bouche du concert, l'Ouverture Le carnaval romain de Berlioz, donne le ton: toute la soirée, le chef se fera plaisir en faisant sonner l'orchestre au maximum chaque fois que la partition l'autorisera. Sa gestuelle est habitée par la musique, les phrases musicales sont amples, tout est large, tout respire. Dutoit tartine généreusement les effets, soulignant les contrastes à grands traits en donnant l'impression de déguster le résultat.

Arrive ce moment fort attendu: nous allons enfin entendre Martha Argerich, qui n'est pas venue à Montréal depuis le départ de Dutoit, dans le Concerto pour piano no 1 de Beethoven. À 75 ans, elle possède encore une souplesse et une dextérité hors du commun, dépassant bien des pianistes dans la force de l'âge. Elle approche l'oeuvre avec une douceur qui ne lui ressemble pas, une délicatesse de toucher inouïe, exploitant toutes les gradations possibles du pianissimo, parfois jusqu'aux limites de l'audible.

Le début du second mouvement est à pleurer. S'il avait fallu traverser toute la ville pour n'entendre que ces quelques mesures, cela en aurait valu la peine. L'étonnant édifice de dentelle qu'elle construit repose tout de même sur les fondations d'une conscience de l'architecture et de l'harmonie solides comme le roc. À la fin du concerto, son ex-mari de chef dépose un baiser sur son front sous des tonnerres d'applaudissements. Ils reviendront saluer plusieurs fois, main dans la main, jusqu'à ce qu'elle donne, en rappel, la Sonate en ré mineur K. 141 de Scarlatti, où ses doigts voltigent avec la vivacité d'un colibri bruissant des ailes d'une fleur à l'autre.

Pétrouchka

En choisissant le génial Pétrouchka de Stravinsky comme pièce de résistance, Charles Dutoit s'est donné une belle occasion de faire briller chaque section de l'orchestre et de nous en faire savourer tous les timbres. Prenant le temps de dire les choses, il laisse les musiciens raconter une histoire où les tableaux se succèdent en soulignant le côté naïf et carton-pâte du ballet. L'effet produit est celui d'une grotesque imagerie, d'un théâtre de marionnettes aux personnages colorés dansant au milieu d'une jubilatoire fête russe. Mention particulière aux trompettes, qui rendent leurs périlleux passages à la perfection.

Pour finir, La Valse, de Ravel nous a donnés la chair de poule dès les premières mesures, annonçant avec une fébrilité contenue le déploiement grandiose du reste et la finale retentissante. Ramené sur scène plusieurs fois par une longue ovation, Dutoit bondit sur le podium comme un jeune premier, plongeant directement dans les premières notes du Boléro de Ravel, ce qui provoque des cris. Il y a de ces soirées que l'on n'oublie jamais: c'en était une.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

À 75 ans, Martha Argerich possède encore une souplesse et une dextérité hors du commun, dépassant bien des pianistes dans la force de l'âge.