Rufus Wainwright est une star internationale dont la popularité a dépassé celle de sa mère Kate McGarrigle et de son père Loudon Wainwright, et pourtant son concert d'hier, en préouverture du Festival des arts de Saint-Sauveur, tenait du passage de flambeau.

Rufus l'a reconnu à sa façon bien à lui juste avant de chanter Out Of the Game. Chaque fois qu'il chante quelque part, a-t-il dit, il essaie de se concentrer sur un élément local: à Vienne, c'est Elisabeth Schwarzkopf, à Rome, le Forum... «Et ici, mes ancêtres morts qui sont juste en arrière de l'église», a-t-il dit au public amusé.Même si l'inauguration de la scène McGarrigle plus tôt dans la journée se voulait un hommage aux soeurs du même nom, c'était également un coup de chapeau à une autre génération d'artistes d'envergure internationale qui ont leurs racines à Saint-Sauveur. Dont Rufus Wainwright.

Hier, la chanson Want, dans laquelle il se réclame de papa et maman, prenait un sens particulier même pour ceux des 600 spectateurs qui n'en connaissaient pas les paroles, tant Rufus y a mis toute la ferveur dont il est capable. Rarement l'a-t-on trouvé plus en voix que lorsqu'il a interprété Les feux d'artifice t'appellent, tirée de son premier opéra, Prima Donna. Et quand après avoir chanté Montauk, l'ultime chanson sur le thème de la transmission écrite pour sa fille Viva, il a confié à soeur Martha qu'il se sentait comme un enfant de 2 ans aux prises avec un chat dans la gorge, on avait peine à le croire.

Belle à pleurer

L'émotion des grands soirs, palpable en première partie de spectacle, s'est manifestée de façon on ne peut plus évidente après l'entracte, avec l'arrivée de Martha.

Comme ils l'avaient déjà fait souvent, ils ont emprunté à Joséphine Baker ses Nuits de Miami, puis ils nous ont servi la plus belle des interprétations de la Complainte de la butte, la chanson française qu'ils avaient volée à leur mère et leurs tantes et qu'ils se sont chipée l'un l'autre par le passé. «C'est mieux quand on la chante ensemble», a dit Martha.

Puis le reste de la famille s'en est mêlé, depuis les tantes Anna et Jane jusqu'aux deux petites-filles de Jane, en passant par Sylvan et Lily Lanken, les enfants d'Anna.

Leur version de Talk To Me of Mendocino, de la regrettée Kate, était belle à pleurer, et je soupçonne certains spectateurs d'avoir versé une larme supplémentaire quand Martha a révélé que Rufus avait fait inscrire les paroles de cette chanson magnifique au dos de la pierre tombale de leur mère.

Les deux puces de grand-maman Jane ont chanté une chanson qu'affectionnait leur arrière-grand-père Frank McGarrigle, Martha a puisé dans les airs préférés de sa grand-mère Gabrielle Latrémouille et la thématique de la filiation était encore bien présente au rappel quand Martha et Rufus ont repris Hallelujah, écrite par le grand-père de la fille de Rufus, un certain Leonard Cohen.

Comme il se devait, ça s'est terminé à la façon joliment brouillonne de tant de concerts des McGarrigle, Rufus stoppant le clan dans son interprétation d'À la claire fontaine pour réclamer une autre tonalité. L'immense majorité dans cette salle comble s'est mise à chanter comme pour dire à ces artistes pas comme les autres combien elle se sentait privilégiée d'avoir vécu ces deux heures de beauté.