Aznavour se passe d'artifices. C'est un concert simple et émouvant qu'il a offert hier soir, sans tous ces effets spéciaux que l'on a l'habitude de voir au Centre Bell. Parce que l'effet spécial, c'est lui. L'homme qu'il est, sa présence, son charme, sa classe, son humour et sa sincérité.

Entouré d'une dizaine de musiciens, le chanteur montre à chaque instant qu'il est heureux d'être sur scène. Il se moque de lui-même, de son âge et de ses défauts entre les chansons.

Le plus impressionnant, c'est la montée de son énergie et la vie qui l'anime de plus en plus à mesure qu'il chante, comme si la musique le faisait rajeunir. Sagement assis au début, il se lèvera vers la moitié du spectacle et commencera à se déplacer sur scène vers les deux tiers.

Pour Les plaisirs démodés et Les deux guitares, il exécutera quelques pas de danse, soulevant les cris de la foule. Qui d'autre peut se vanter de produire un tel effet sur 15 000 personnes avec aussi peu?

En début de spectacle, après cinq chansons de son répertoire le plus récent qui ne soulèvent que des applaudissements polis, il déclare: «Ça, c'est le présent. Maintenant on va aller dans le passé. Je sais que vous avez chacun votre chanson, mais comme j'en ai écrit un millier, je ne pourrai pas toutes les faire car il faudrait passer un mois ici.»

Il enchaîne avec Mourir d'aimer. Sa fille Katia, aussi sa choriste, vient ensuite le rejoindre pour chanter Je voyage. Elle possède une petite voix presque enfantine, juste et assez jolie. Pendant le reste du concert, on entendra les grands succès d'Aznavour: Je n'ai rien oublié, Hier encore et Les plaisirs démodés, entre autres.

«Je me suis longtemps demandé ce qu'est une chanson, dit-il. Pour moi, c'est d'abord un texte, joli, bien rimé et qui veut dire quelque chose. Il faut qu'il nous rappelle des souvenirs importants de votre vie.»

Et c'est ce qui va arriver. La fin du concert sera particulièrement riche en souvenirs émouvants avec La Bohème, dont la foule chantera le refrain avec lui, suivie d'Emmenez-moi. Le Centre Bell en entier est debout. On lui apporte des fleurs. Il sort de scène, puis revient pour faire J'me voyais déjà pendant qu'on tape des mains. Il n'y aura pas d'autre rappel.

On n'attend pas d'un chanteur de 90 ans la perfection vocale. On ne l'attend pas plus d'Aznavour que de Vigneault ou de Cohen. On continue plutôt d'aller les entendre pour retrouver ce lien intime que chacun d'entre nous garde avec leurs chansons et ce qu'elles représentent.

S'il y a des défaillances, ces insignifiantes égratignures musicales que l'on appelle fausses notes, le grand âge a ceci comme privilège que l'on n'en est que plus ému devant un tel monument qui chante encore après toutes ces années.

Sûrement une forme d'amour unique réservée aux poètes.