Only Shallow, chanson emblématique de Loveless, mythique album de My Bloody Valentine, repose sur une décharge de guitares élastiques qui cherche à dérober le sol sous nos pieds. On n'oublie pas un morceau aussi désarçonnant. D'où l'intérêt d'aller entendre ses auteurs, hier soir au Métropolis, plus de 20 ans après le choc initial.

Kevin Shields et sa bande ne sont plus des jeunots. Ne vous fiez pas à la photo qui accompagne ce texte, elle date d'environ deux décennies. Le groupe, aujourd'hui mené par un monsieur à la tignasse grisonnante, refuse de se faire croquer le portrait par les photographes de presse. Pas de nouvelles images, donc.

On ne pouvait s'attendre à du neuf sur le plan musical non plus: My Bloody Valentine n'a publié qu'un album depuis Loveless. D'autant que MBV, paru en février, repose sur les mêmes bases: un mur de son touffu, voire bruyant, percé çà et là de mélodies miraculeusement délicates. Momentanément secoué, aussi, de passages énergiques.

Dire que le groupe de Kevin Shields a fait preuve de délicatesse, hier soir, peut paraître étrange, étant donné son approche radicale.

Il est vrai que le groupe n'a pratiquement pas soufflé mot de la soirée. Vrai aussi que le son était dans le tapis, au point d'en être assourdissant. Mais voilà, par délicatesse, le groupe offrait les bouchons pour les oreilles gratuitement. En près de 20 ans de concerts rock, on n'a jamais vu ça...

L'autre délicatesse de My Bloody Valentine a été de mettre l'accent sur les morceaux de Loveless, sa pièce maîtresse et sans doute l'album le plus marquant du shoegazer rock, le disque qui a influencé autant The Verve que The Smashing Pumpkins.

Ce choix éditorial a été clair dès le départ: Kevin Shields et sa bande (cinq musiciens au total) ont enfilé pas moins de trois titres de ce disque, à commencer par Sometimes. Only Shallow, elle, faisait partie d'un bloc en milieu de programme.

Les sculpteurs de distorsion ont offert le genre de prestation à laquelle on s'attendait, c'est-à-dire statique, distante et marquée par des temps morts que personne sur scène ne faisait mine de vouloir meubler. Anti rock'n'roll attitude...

L'assistance n'était pas là pour les politesses, de toute manière, mais pour en prendre plein les oreilles. Et plein les yeux.

Les musiciens, appliqués et précis dans l'échafaudage de nuages sonores, étaient en effet accompagnés d'un ballet d'images abstraites, hypnotiques sans être vraiment psychédéliques, qui aspirait le regard autant que les sons cherchaient à avaler les corps.

Le risque que ce genre d'expérience tant physique qu'esthétique ne devienne éprouvant est bel et bien présent. Mais ce peut aussi être étrangement et brutalement envoûtant.