The National, reconnu pour la grande qualité de ses chansons originales, n'offre pas de spectacles mémorables. Mais il tend certes à s'améliorer. C'est du moins ce que les plus ou moins 5000 fans ont pu réaliser jeudi, soit sur l'Esplanade du Centenaire qui jouxte le canal de Lachine.

Les conditions atmosphériques étaient idéales pour une performance optimale du groupe américain dans cet espace que l'on apprivoise encore dans sa configuration festive. Matt Berninger s'en est réjoui, d'ailleurs, soulignant qu'il avait plu des cordes (pissé, pour être fidèle à son expression) lors des représentations précédentes.

Le chanteur et les paires de frères (Aaron et Bryce Dessner, Bryan et Scott Devendorf) étaient flanqués d'un autre tandem, souffleurs de cuivres  (trompette et trombone) recrutés afin de tonifier ces chansons inspirées mais... musicalement un peu minces. Comme c'est le cas pour la plupart des bands de ce type, les arrangements et les références stylistiques (post-punk anglais des années 80, chanson rock amerloque de qualité, etc.) doivent l'emporter sur les qualités individuelles.

Ainsi, à la suite d'une séquence plutôt discrète de nos Barr Brothers (qui testaient du nouveau matériel), on aura droit à un répertoire dominé par l'excellent Trouble Will Find Me qui vient à peine d'être rendu public. I Should Live in Salt, d'entrée de jeu, suivi de Don't Swallow The Cap.

On puise aussi dans l'album Boxer (2007) avec la chanson Mistaken for Strangers, suivie par Bloodbuzz Ohio, un des grands crus de l'album High Violet (2010). La scène est alors teintée de rouge, ceci incluant les animations.

Au tour du bleu pour Sea of Love, très beau texte à l'intérieur duquel se love le titre du nouvel album. Mauve, blanc et noir pour Slipped, une des plus réussies de Trouble Will Find Me. Le narrateur se trouve dans une ville du Sud qu'elle a détestée et qu'il hait à son tour avant de lui dire qu'il ne sera jamais ce qu'elle aurait aimé qu'il soit. Séparation imminente, on perd pied dans la fissure...

Arc rosé sur écran géant pour Heavenfaced dont la finale est particulièrement relevés par les cuivres; l'homme de la chanson renonce à la quitter, assume courageusement les méandres de l'intimité.

Le jaune et le blanc éclatent sur la chanson Afraid of Everyone, contribuent du coup à la hausse marquée de l'intensité sur scène. Membre d'Arcade Fire et collaborateur occasionnel aux enregistrements de The National, le Montréalais Richard Reed Parry est présenté sur scène comme un membre de la famille. La scène est teintée de vert afin d'illustrer le groupe filmé en direct et projeté sur grand écran pendant qu'il interprète Conversation 16.

Superbe intro des instruments à vent pour la suivante, Squalor Victoria, interprétation assortie de figures abstraites, innombrables carrés et rectangles orangés. Imagerie aquatique pour la ballade I Need My Girl. On s'explique alors l'ascendant de Matt Berninger sur la gent féminine d'aujourd'hui; l'auteur ne craint pas d'exprimer ses émotions, sa vulnérabilité, assume ses fautes, pleure ou présente ses excuses sans pour autant afficher quelque carence de testostérone. Qui plus est, il peut mettre ses culottes et faire face à la musique, comme c'est le cas dans la chanson This Time Is the Last Time.

On pige dans l'album Alligator (2005), Baby Wee'll Be Fine et Abel sont entonnées avec intensité. De retour à Boxer, on a droit à Apartment Story avant de revenir au répertoire neuf, soit avec la magnifique Pink Rabbits.

En toile de fond, les flocons de neige mouillée (ou gouttes de pluie au ralenti? Choisissez votre saison!) mettent en scène la chanson suivante et non la moindre: England, tirée de High Violet. Le pont de la chanson s'y avère explosif voire un des sommets de la soirée. L'indice d'octane reste élevé: rythme rapide et rock pour Graceless, dont la déferlante de formes abstraites projetées derrière en accentuent l'impact.

On cueille dans l'arbre à fruits, soit le maxi Cherry Tree (2004): About Today, peinte en mauve, avec cuivres à la Calexico et avec finale de guitares crépitantes. De Boxer, interprétée avec cuivres presque baroques et un flot d'images urbaines, Fake Empire nous prépare aux rappels. Berninger les annonce en nous révélant que le band a grand besoin d'une pause pipi!

Au retour sur scène, feu roulant: Humiliation, un des meilleurs grooves rock de ce spectacle, suivi de l'incontournable Sorrow et d'un bain de foule du chanteur lorsqu'il attaque Mr. November. Fait à noter, il s'en tire fort bien avec ce très long fil de micro déployé tel une corde à linge au-dessus de ses fans en liesse. On grimpe encore plus haut avec Terrible Love... et on se calme définitivement le pompon avec la version acoustique de Vanderlyle Crybaby Geeks. Il est temps de rentrer, longer paisiblement le canal avant de regagner son quartier, sa rue, son appartement, son lit.