Il y a une douzaine d'années, lors de sa première visite à Montréal, Sigur Rós s'était produit dans un Métropolis captivé, mais sans grand flafla au plan visuel. Hier, au Centre Bell, l'immersion a été totale. L'ample post-rock cosmique des Islandais s'est déployé dans un élégant ballet de décibels soutenu de projections plus soignées qu'étonnantes, mais totalement en phase avec sa musique.

Jonsi (chant, guitare frottée à l'archet et claviers), Georg Holm (basse) et Agust Aevar Gunnarsson (batterie) et leurs nombreux accompagnateurs (au moins huit) sont apparus derrière un rideau translucide sur lequel étaient projetées des lueurs vertes évoquant les aurores boréales. La barrière textile allait bientôt tomber pour laisser voir les musiciens et le large écran sur lequel on allait suivre son cinéma sonore.

Sigur Rós ne s'est pas radicalement réformé depuis Ágaetis Byrjun, l'album qui l'a fait connaître sur la scène internationale. Il s'est surtout attelé à cartographier l'espace sonore qui est le sien, marqué par un vague à l'âme seulement exceptionnellement traversé d'éclats de joie, secoué par des tempêtes plus ou moins fortes, et le chant haut perché, presque céleste, de Jonsi.

Ny Batteri, jouée en début de programme, a rappelé combien cet art peut être puissant et toucher non pas le coeur, mais cette zone qui vibre en nous lorsqu'on écoute une musique religieuse. Sigur Rós, hier, c'était donc ça : une expérience esthétique d'une portée presque mystique. Un trip sonore qui évoquait un voyage cosmique de l'infiniment petit (des pics de poudre aimantée, par exemple) à l'immensité de la galaxie.

Ambiance quasi religieuse

Les jeux d'éclairages ont bien sûr contribué à l'ambiance quasi religieuse - entre autres la vingtaine d'ampoules blanches qui évoquaient des bougies. Mais c'est surtout l'attitude réservée des musiciens, la cohésion des contrastes dans les timbres, la courbe élégante des envolées et la beauté des choeurs qui rendaient l'expérience hypnotique. Transcendante, assurément, pour les plus ardents des quelque 6000 fidèles du groupe rassemblés hier.

Un avant-goût du prochain album

Sigur Rós a pigé dans ses cinq albums «internationaux» (en particulier Ágaetis Byrjun et Takk...) au cours de sa prestation maîtrisée, ponctuée d'instants de fragilité (Jonsi qui tient longuement la note, a cappella pendant Festival) mais aussi un brin redondante, un reproche auquel peu de formations post-rock échappent. Les Islandais ont aussi profité de l'occasion pour donner un avant-goût de leur album à paraître en juin, intitulé Kveikur.

Les morceaux identifiés à l'oreille comme étant nouveaux n'annoncent pas de virage radical, mais une puissance renouvelée et une propension à miser sur des palpitations métalliques dans les percussions (sur Hrafntinna, en particulier). Brennisteinn, morceau lourd joué en fin de programme, donne toutefois à penser que Sigur Rós est bel et bien à la veille d'une refonte porteuse au plan musical. On y prêtera l'oreille.