La poésie rock de Nick Cave peut s'élever vers les mondes célestes, mais aussi longer les tunnels de l'enfer. Depuis les années 80, le crooner y explore tant la contemplation que le ressentiment, tant la candeur que l'incrédulité, les droits chemins comme les trajectoires les plus déviantes. Encore aujourd'hui, l'homme et ses compagnons de route suggèrent des symboles puissamment contradictoires, à l'image de l'existence.

L'escale montréalaise de vendredi ne fit pas exception à ces oppositions proverbiales.

Flanqué de ses Bad Seeds, le chanteur australien a amorcé cette heure et trois quarts par une série de chansons tirées de son nouvel album, l'excellent Push the Sky Away. We No Who U R avec ses claviers en introduction et son refus de pardonner, «and we know there's no need to forgive»...

Six Mauvaises Graines et deux choristes se trouvent alors derrière le soliste de 54 ans, élégant et prêt à se défoncer pour nous. Il raconte cette énigmatique Bee, personnage de Jubilee Street; «She had an history but no past...» La tension monte, le dandy balaie l'atmosphère de ses mains, le violon s'exprime dans le chorus, le rythme s'accélère. La foule du Métropolis est subjuguée.

Sur des claviers placides et un riff de guitare qui rappelle le ronronnement d'un moteur à deux temps, les grands yeux de la chanson Wide Lovely Eyes ratissent le ciel. Il y est question d'une clef secrète qui donne accès un passage menant à la mer. Le narrateur s'adresse à la bien-aimée qui s'éloigne sans qu'on ne puisse conclure s'il s'agit d'un au revoir ou d'un adieu.

On verra ensuite le showman à genoux pour décrire le parcours sinueux de cette route de Genève, propice aux apparitions: Higgs Boson Blues. «Can you feel my heartbeat? Oh que oui, manifestent les fans qui ont rempli à craquer l'amphithéâtre.

Du répertoire de 2013, on passe alors à 1984, point de départ discographique de NCBS: From Her to Eternity, chanson titre du premier album, qui s'amorce invariablement par «I want to tell you about a girl». Les fans sont tout simplement ravis, prêts à ce que les choses se corsent. Guitares assourdissantes, fessées de claviers, chanteur survolté. Puis nous voilà en 1994 avec une interprétation paroxystique de Red Right Hand.

Pour éviter que les parois ne se fissurent, Nick Cave calme le jeu, se met au piano. Entonne une ballade câline, réconfortante, Into My Arms. Le narrateur y révèle ne pas croire à un Dieu interventionniste, contrairement à ce qu'en croît sa douce interlocutrice... Un peu de soleil? Deanna, sorte de pop R&B très années 60,  typique chanson de gars qui parle de fille, nous ramène à l'époque de l'opus Tender Prey (1988).

Après le beau temps, on plonge dans la série noire façon Nick Cave: Jack the Ripper, hard rock aux accents punkisants, on ne peut plus abrasif, tiré de l'album Henry's Dream. Retour du crooner au clavier, Your Funeral... My Trial (1986). Il se lève après avoir chanté le premier refrain, la ballade gagne soudain en pesanteur. Et le chanteur a repris les hostilités avec ce rock au refrain celtique: Papa Won't Leave You Henry (1992).

Un pas en avant, un pas en arrière, God Is in the House, Nick Cave est de nouveau au piano. L'attention de certains semble accuser un léger déficit... jusqu'à ce que ne vienne le solo de violon, superbe conclusion de cette ballade. La foule retrouve son enthousiasme avec l'interprétation de l'incandescente Weeping Song. Voltage maximum jusqu'à la fin: The Mercy Seat (Tender Prey, 1988) et cette reprise de la sanguinolente Stagger Lee (Murder Ballads, 1996).

Pour le premier rappel, Nick Cave revient sur scène sans veston, il entonne Tupelo sur le même registre d'intensité que les précédentes. Il conclut son spectacle dans l'évanescence avec la chanson titre du nouvel album, reprise par moult fans de toutes générations. «You've got to just / Keep on pushing / Keep on pushing / Push the sky away...»