Autant on peut applaudir à tout rompre le dernier album de l'Américaine Fiona Apple, superbe opération de catharsis, magistrale expulsion du méchant qui ronge l'intérieur, contre-attaque exemplaire de l'ange face à ses redoutables démons, autant on peut rester perplexe devant le spectacle qu'elle vient de mettre en oeuvre.

Mardi, devant 1500 fans réunis à l'Olympia de Montréal, elle a donné une performance hirsute, à tout le moins inégale. La brillante auteure, compositrice et interprète s'y est avérée une performer fébrile, survoltée, au bord de la crise de nerfs. En bref, pas toujours en maîtrise de la situation. Debout face au pied de micro ou assise au piano, on l'a sentie emportée par le torrent de ces sons saturés qui déferlaient de tous bords tous côtés. Ses chansons magnifiques, les récentes comme les anciennes, surnageaient trop souvent dans un maelström mal assorti à son répertoire. La gestion de l'intelligibilité faisait clairement défaut, aurez-vous déduit.

Enfin, on rétorquera que cela demeure une question de perception mais... La musculation extrême d'une proposition chansonnière doit-elle aussi souvent mener à handicaper la voix et le texte qu'elle charrie? L'interprète doit-elle s'astreindre à gueuler aussi souvent parce qu'elle ne peut dominer le volume émanant de son orchestre? L'audace et la subtilité d'une production studio peut-elle trouver un équivalent aussi étoffé sur scène? Parfois, on en convient, le chaos sonore est tout à fait justifié mais... aussi souvent? Aussi longtemps?

Sauf quelques exceptions au programme, donc, Fiona Appel et son équipe (claviers, batterie, percussions, basse, guitare parfois slide, piano à queue joué par la chanteuse) ont choisi de jouer rudement, salement, sans précision, probablement afin de servir le propos tourmenté et tempétueux de son récent (et superbe)  The Idler Wheel Is Wiser Then The Driver of The Screw and Whipping Cords Will Serve You More Than Ropes Will Ever Do, dont elle a interprété Anything We Want, Werewolf, Daredevil et Every Single Night.

C'était idem pour le traitement accordé aux chansons puisées dans ses albums précédents. De When the Pawn Hits The Conflict He Thinks Like A King, elle a chanté Fast As You Can, On The Bound, Paper Bag, Get Gone, I Know. De Extraordinairy Machine, elle a fait  la chanson-titre, Not About Love et Tymps (Sick In The Head Song). De Tidal, on a eu droit à Shadowboxer, Sleep To Dream, Carrion et Criminal en fin de parcours, le tout coiffé d'une reprise d'origine country, signée Conway Twitty et Jack Nance: It's Only Make Believe.

Pas de rappel au bout de ces 17 chansons au programme,  un rapide «je vous aime», elle disparaît au trot, nous voilà sur le trottoir. On aura observé d'ailleurs quelques rares interventions de Fiona entre les chansons, dont une particulièrement autodérisoire: la chanteuse y suggérait qu'elle était une gentille personne même si elle exhalait colère et rudesse.

On avait deviné...