Impossible de dissocier l'oeuvre musicale des Jeanne, Sylvie, Anne et autres dames ayant traversé l'oeuvre de l'immortel Jean-Pierre Ferland, qui a béni de sa présence la scène du St-Denis I lundi soir, à l'issue de la première de la comédie musicale Le petit Roy.

Et les créateurs de cette pièce inspirée de Ferland ont fait de la «condamnation à aimer» l'épine dorsale de cette aventure où les chansons de «JP» s'entrecroisent et se mélangent, dans un ballet prenant alternativement l'allure d'une soirée québécoise, une tragédie romantique et une ode poétique.

Réarrangée et déconstruite par Robert Marien, la musique de Ferland est la trame autour de laquelle se tisse le récit de «Djipi» (Serge Postigo), amoureux idéaliste de la belle prostituée Simone (la chanteuse Geneviève Jodoin.) Sur l'imposante scène du St-Denis I, un décor sombre et austère évoque la prison où Djipi échoue après le fameux coup de couteau et «schlack», de Quand on aime on a toujours 20 ans.

Djipi l'amoureux fidèle, dont «les gourous ont rendu fous», paiera de sa jeunesse son crime passionnel. Ce qui ne l'empêchera pas d'aimer. Ni de rêver. Il nous entraînera donc dans la genèse fantaisiste de sa vie peuplée de sympathiques fous, de malins pervers, de joyeuses courtisanes.

Le petit Roy comporte une bonne poignée de moments de grâce et quelques perles de doux délire. Mais il se complaît dans la facilité et s'empêtre dans d'inutiles détours dramatiques. Ce (trop) long spectacle va un peu plus haut, un peu plus loin (excusez-la), quand il se décoince et plonge dans la joie et touche enfin à une émotion vraie et authentique.

Pivot de l'affaire -il chante, danse, joue et assure la mise en scène- Serge Postigo se tire honorablement d'affaire, mais ne galvanise pas. Sa partenaire de scène Geneviève Jodoin, avec sa voix puissante et sa présence électrique, propulse les chansons de Ferland dans des sphères célestes. Du coup, il y a déséquilibre.

Normand Lévesque, dans les habits excentriques d'un Gerry farfelu, artiste hasbeen, incarne délicieusement l'atmosphère débridée des années 1960-70. Et on se régale aussi des pièces de groupe -sublime, le numéro sur Les courtisanes- grâce à l'apport de personnages de soutien hélas moins mis en valeur. Quelques moments volés nous font pardonner les errances et les complications inutiles de cette pièce qui gagnerait à être condensée et dégraissée, comme une version enfantine de Si je savais parler aux femmes, qui rappelle clairement le Je vous ai apporté des bonbons de Brel.

Un voyage dans le temps et dans un pan important de la musique québécoise, certes, que cette ambitieuse et même utopique affaire. La mission était noble et pleine d'amour. Mais l'émotion, le fun, la liberté ont perdu au change. C'est peut-être ça, le vrai prix de l'amour que l'on voue à un géant vivant?

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Le petit Roy, idée originale de Benoît L'Herbier, livret de Robert Marien et Benoît L'Herbier, mise en scène Serge Postigo au Théâtre St-Denis I.