Était-ce un show rock, une comédie musicale ou une extravagance multimédia? Qu'importe, Montréal n'avait sûrement rien vu de comparable à la version scénique de The Wall que Roger Waters a présentée hier soir, 30 ans après sa création. Une orgie de projections, de marionnettes géantes et autre avion qui s'écrase dans un mur qui avait, contre toute attente, quelque chose d'humain, en plus de nous faire oublier les faiblesses de cet album double qui aurait été très bon s'il avait tenu sur un seul disque.

L'ex-bassiste de Pink Floyd est vite sorti de son rôle théâtral pour venir récolter les acclamations des quelque 14 000 convertis, tel un véritable héros du rock incompris qui savourait enfin sa victoire. Tout de suite après l'hymne disco Another Brick in the Wall, Part II, qui mettait en vedette une chorale d'enfants noirs, le bassiste a paru plutôt sympa quand il a rappelé que The Wall trouvait son origine dans un concert au Stade olympique de notre great city où un Waters plus jeune de 33 ans, plus soupe au lait et plus isolé, avait craché sur un spectateur turbulent.

Mais ces années troubles sont derrière lui, nous a juré l'ex-pur et dur qui n'a pas craint de paraître «kétaine» en balançant les bras en l'air et en incitant la foule à faire de même pendant le solo de guitare de Comfortably Numb. Roger Bontemps a même eu la jolie idée de faire un duo avec son double de 1980 pendant Mother, que le plus jeune des deux Roger chantait dans un bout de film tourné à Earl's Court, à Londres.

Ce nouveau Waters ne s'embarrasse toujours pas de nuances, faisant défiler sur écran Mao, George W. et Hitler pendant Run Like Hell. Quand, dans la chanson Mother, il demande à sa maman s'il peut faire confiance au gouvernement, la réponse ne tarde pas, inscrite en lettres rouges sur le mur derrière: No fucking way. Et le public jubile. Mais les raccourcis et le manque de subtilité sont moins pesants que prévu, comme emportés dans ce tourbillon digne d'un Disneyland à messages.

Après l'entracte, il a fallu attendre la troisième chanson, Nobody Home, pour que Waters réapparaisse devant le mur, dans la peau du rocker paumé Pink, bien assis dans son salon. Or, quand les spectateurs se sont mis à chanter, Waters-Pink est sorti de son rôle pour les remercier.

Par la suite, Comfortably Numb, la plus belle chanson de The Wall qu'on associe surtout à la guitare et à la voix de David Gilmour mais qui passait beaucoup mieux dans ce contexte théâtral, a provoqué la plus belle claque de la soirée. Comfortably Numb a ramené l'élément humain dans ce spectacle réglé au quart de tour et, tout de suite après, les musiciens et quatre choristes masculins sont venus rejoindre la vedette devant le mur. Puis Waters est redevenu un leader totalitaire haranguant l'assemblée pendant In the Flesh, où il a reçu la visite du cochon gonflable de Pink Floyd, peinturluré de slogans contestataires, qui a survolé le parterre.

À la fin de The Trial, les spectateurs ont crié «tear down the wall» et le mur de carton s'est écroulé, provoquant une ovation et une pluie de flashes d'appareils photo. Autant de souvenirs que chériront longtemps ces fans comblés. Roger Waters remet ça ce soir au même Centre Bell.