Disposant d'un personnel de dix musiciens sans le compter, le surdoué Sufjan Stevens a amorcé mardi une tournée très attendue sur la planète indie. The Age of Adz, son neuvième album qui suit la sortie récente de l'EP All Delighted People, était lancé officiellement hier. Ce qu'on a vu et entendu au Métropolis fut essentiellement tiré de cette matière neuve.

Voyez le film d'un concert brillant, très puissant, quoiqu'un tantinet clinique.

All Delighted People, une ballade supérieure, expose d'abord le talent d'arrangeur de Stevens pour les voix - deux choristes et des renforts masculins du côté des instrumentistes.

Too Much porte bien son titre, cette chanson nous en met plein la gueule. Les amateurs de musique instrumentale et de chanson top niveau ne peuvent être que comblés par une telle entreprise, mais peut-être moins sur scène qu'en studio en ce qui me concerne. La réduction des instruments à vent (deux trombones au Métropolis, sauf exception) n'amoindrit pas la force de frappe mais toutes les subtilités orchestrales de l'album doivent faire place à l'énergie des planches.

On comprendra que ces contraintes sont essentiellement économiques, et c'est déjà beau d'assister à un concert réunissant onze excellents musiciens sur scène - cuivres, guitares, basse, percus, claviers, machines, voix.

Age of Adz, une chanson colossale qui traite «d'amour et d'apocalypse», créée la même impression: le retrait des cordes et la réduction des cuivres au profit d'une énergie plus rock enlève un pan de sa singularité sur disque. Cela reste super fort lorsque joué devant public.

«So much drama», ironise le chanteur avant de calmer les esprits avec Heirloom, une ballade tirée de l'EP All Delighted People qui nous rappelle les origines folkies, très romantiques, quasi granoles de son créateur.

I Walked est un chant d'amour enrobé de microprocesseurs, superbe mélodie à l'ère numérique.

Now That I'm older poursuit dans le même esprit, cette fois dominée par le chant choral, un chant presque sacré. Encore là, c'est moins impressionnant sur scène, moins précis, moins soyeux.

On revient à la complexité virile avec Get Real Get Right, les spirales de flûtes tant attendues ne jailliront pas, remplacés par des renforts analogiques et numériques. Sufjan dédiera la chanson à Royal Robertson, fameux peintre schizo, père louisianais de onze enfants dont les illuminations ont  inspiré l'album The Age of Adz.

Seul à la guitare, Stevens entonne Enchanting Ghost, autre chanson neuve tirée du nouvel EP.

Vesuvius met en scène l'auteur au coeur de sa chanson, interpelé par ses choristes à la manière d'un choeur grec.

On poursuit dans la tendresse avec Futile Devices, dont les balises ne peuvent dérouter quiconque parce qu'elles carburent au flower power, gaz non toxique comme on le sait.

Vient la pièce de résistance au programme: Impossible Soul, 25minutes et 34 secondes dans l'album, une pièce ambitieuse à plusieurs «mouvements», qui réunit les couleurs fondamentales de Sufjan Stevens: folk, musiques orchestrale pour instruments conventionnels, chant choral, chant trafiqué à l'auto-tune, musique électronique. Aucun essoufflement à l'horizon.

Pour faire plaisir à ses fans, le chanteur et musicien complétera le programme de sa nouvelle tournée avec des chansons connues de son répertoire: Chicago avec orchestre, suivie de deux chansons interprétées en solo au rappel Concerning the UFO Sighting Near Highland, Illinois, avec un accompagnement au piano droit et John Wayne Gacy, Jr. à la guitare.

Ainsi, le public montréalais aura assisté un concert (assorti de superbes projections, images de synthèse vraiment singulières) certes très puissant, le fait d'un artiste supérieurement doué, peut-être un peu clinique c'est-à-dire trop axé sur la technique élevée qu'exige un répertoire aussi mirobolant. Rien de plus normal en début de tournée. Tout ça finira bien par respirer!

Chose certaine en ce qui me concerne, Sufjan Stevens n'a pas d'égal sur ce territoire de la chanson indie.

Dans dix, vingt ou trente ans, peut-être avant, des orchestres symphoniques joueront sa musique dont la progression phénoménale n'est pas sans rappeler celle de George Gershwin au siècle précédent. Gershwin avait commencé par créer des tubes pour les éditeurs de Tin Pan Alley. Puis son art s'est complexifié, sa dimension orchestrale a fini par prendre le dessus avec les résultats qu'on connaît. Bien sûr, il est trop tôt pour qualifier Sufjan Stevens de Gershwin du 21e siècle.

Mais... quand cet animal de création s'arrêtera-t-il?!!