Au sortir du Gesù jeudi soir, le constat était clair: Hiromi est loin d'avoir terminé son ascension. Pourquoi?

D'abord, la pianiste japonaise éblouit les amateurs sensibles à la haute virtuosité, et pour cause. Ses exploits au clavier sont effectivement remarquables. Une main droite d'enfer, qui ne laisse aucune place à l'erreur. Une main gauche plus solide que jamais, qui ferait l'envie de la majorité des pianistes de ce niveau. Un style vif, sémillant, plus qu'alerte. La connaissance de toutes les époques pianistiques du jazz est aussi remarquable. Les insertions de piano classique - romantisme et impressionnisme, de Chopin à Debussy. Certaines figures rythmiques au menu sont de véritables inventions de sa part, c'est dire l'ampleur de son potentiel. Feu roulant?

Mets-en.

Secundo, Hiromi donne un vrai spectacle. Ses fringues, ses baskets, sa coiffure, sa gestuelle plus que démonstrative, son coude droit qui martèle le clavier, son jeu chorégraphié lorsqu'elle se met en positon debout, enfin la dimension fantaisiste du personnage plaît beaucoup plus qu'elle ne déplaît.

Tertio, la musicienne sait communiquer avec le public, le ton candide et souriant de ses interventions en fait craquer plus d'un. Très sympa, somme toute.

Hiromi ne fait l'unanimité, je l'ai aussi constaté au Gesù. J'en ai vu qui semblaient mal digérer ce spectacle qui frisait l'ostentation voire le mauvais goût par moments. Ils étaient très peu à ne pas tripper, mais ils répandront certainement la « mauvaise nouvelle ».

Personnellement, je ne suis pas encore convaincu des grandes valeurs artistiques de cette jazzwoman. Virtuose? À n'en point douter. Exceptionnelle, même. Heureuse de jouer? À n'en point douter. Sur le plan des idées, du raffinement, du goût, de la profondeur compositionelle, je n'obéis pas aux mêmes critères.

Oui, j'aime la manière dont elle brasse Gershwin ou Monk, ces tourbillons me semblent plus qu'acceptables. J'admire l'étendue de son langage, sa connaissance du spectre entier de la tradition pianistique en jazz, sans compter certains pans de musique classique. Ses compositions embrassent tout ce qui se rapproche du jazz moderne avec ce que ça comporte de traditionnel. Et la musique?

En interview, elle m'a dit beaucoup aimer le silence. Ce n'est pas particulièrement évident sur scène, force est de constater au terme de ses concerts (en quartette et en solo) auxquels j'ai assisté. Les moments de grande élégance sont rarissimes, les effets de styles l'emportent sur un discours fluide et intégré, le spectacle domine la substance de son art. Prenons l'exemple de ces Canons de Pachelbel relus au piano préparé. Franchement imbuvable, en ce qui me concerne.

Hiromi est encore jeune, il faut dire à sa décharge. Âgée de 30 ans, elle fréquente actuellement les archibonzes du jazz-fusion. De Chick Corea avec qui elle a joué en duo et dont elle tire des influences évidentes, à Stanley Clarke avec qui elle tourne et enregistre par les temps qui courent... Grand bien lui fasse, mais j'ai bien peur que ce ne soit pas dans cette zone du jazz que l'inspiration soit à son zénith en 2010, avec tout le respect qu'on puisse accorder à ces musiciens toujours virtuoses... mais si peu créatifs depuis des lustres.

Hiromi pourrait-elle contribuer à les rallumer? Qui sait?