Première montréalaise semée d'embûches pour le groupe pop-rock Caïman Fu, notamment parce que la chanteuse Isabelle Blais devait composer avec un vilain rhume. Au coeur de cette première: les chansons de Drôle d'animal, troisième album en six ans d'existence, paru il y a un an.

The show must go on, comme disait Molière. C'est ainsi une belle leçon de professionnalisme que nous a donnée la comédienne et chanteuse Isabelle Blais jeudi soir dernier, dans la petite salle de la rue Jean-Talon. Deux leçons de professionnalisme, pour être juste.

D'abord, dès le début du spectacle, elle nous a admis qu'elle était victime d'un rhume. Pas simple, on s'imagine, de devoir chanter pendant 90 minutes, et incarner les textes de ces petites histoires aigres-douces qui forment le répertoire, mi-rock énergique, mi-chanson contemplative, du groupe. Avoir le rhume, un soir de première, en plus, de première apparition du Caïman Fu sur une scène depuis celle du Cabaret Juste pour Rire, en pleines Francos l'été dernier. Manque de pot.

Et pourtant, hormis d'évidentes faiblesses vocales, Blais s'est acquittée de sa tâche avec brio. La souriante interprète a insufflé à (l'inégal) répertoire de son groupe le dynamisme nécessaire, notamment par une mise en scène qu'elle a conçue, en tentant tant bien que mal de fouetter ses fans. Voilà la seconde leçon qu'elle nous a servie: dans une salle au quart pleine, il faut redoubler d'ardeur pour créer une ambiance de concert rock. L'ardeur y était, mais les efforts ne semblaient pas vouloir porter fruit...

Tout au plus devait-il y avoir 75 âmes dans à l'espace Dell'Arte. Un mauvais choix de salle, devons-nous conclure, pour un groupe qui a pourtant une belle visibilité et déjà trois albums à son actif. Puisqu'on y est, posons aussi la question: pourquoi ne pas avoir invité d'autres artistes à jouer en première partie, ce qui aurait pu gonfler l'auditoire et permettre à Caïman Fu de monter sur scène un peu plus tard qu'à 20h15, heure ou bien des jeunes amateurs de rock doivent encore être en train de se préparer à sortir?

Caïman Fu a ouvert son spectacle avec la langoureuse Femme à la mer, chanson rock à lent déploiement, crescendo nourri de guitares menant à Amour poursuite, première et dynamique chanson du nouvel album qui a constitué l'essentiel de cette première partie du concert.

La mise en scène appuie les chansons, parfois de façon cocasse (l'abat-jour sur la tête de Blais pour le groove de Pourquoi l'ennui), souvent de manière poétique (la bouteille de flocons pour La Tête en l'air, en seconde partie). À quelques reprises cependant, ces effets de scène semblent superflus: on préfère lorsque Blais se fait véritablement chanteuse, sur des titres comme Vent d'automne, un des meilleurs de la soirée, un rock planant et mélancolique aux accents dub, enrichi de couches de guitares pendant laquelle l'actrice se cache derrière la chanteuse, touchante et complètement investie dans le texte de la chanson.

La deuxième partie du concert a commencé sur un air de déjà entendu: encore une chanson rock à lent déploiement (Pour aller se coucher), un peu plus on croyait qu'ils allaient nous refaire à nouveau la dizaine de chansons du début. C'est un peu le problème de Caïman Fu, d'ailleurs: à côté des fort bonnes chansons qui ont tourné à la radio, le reste du répertoire manque d'audace et d'originalité, formant une courtepointe de chansons rock génériques qui auraient très bien pu avoir vu le jour il y a dix ans.

Quand même, ces bonnes chansons font leur effet. En fin de parcours, les Le Mot et la chose, Pas de panique, Wow, Superhéros et Comme tant d'étoiles forment un solide corpus et réussissent même à faire frémir un auditoire disparate, attentif (un peu trop, même) qui était resté bien tranquille.