Même les plus inconditionnels de ses admirateurs vous le diront: en spectacle, Neil Young a toujours été une boîte à surprises, tantôt Docteur Jekyll, tantôt Mister Hyde. Un bon soir, il s'amenait en ville et nous servait rien que du country; la fois d'après, c'était du rock de garage, nourri de distorsion, pendant deux longues heures. Comme si cet artiste intègre voyait une compromission dans le fait de mêler les genres, même ceux qu'il a grandement contribué à façonner.

Cette intransigeance a pris le bord en 2006. Un an après une rupture d'anévrisme, Young a repris la route avec ses musiciens pour défendre l'album Living With War, un brûlot anti-Bush. Le rocker canadien a eu la bonne idée d'inviter Crosby, Stills et Nash et les quatre complices ont puisé dans leur vaste répertoire les chansons à thématique sociale ou politique, de For What It's Worth du Buffalo Springfield à Rockin' in the Free World en passant par Chicago, Ohio, Military Madness et même Woodstock. Trois heures de bonheur!

 

C'est ce même Neil Young, que nous n'avions pas vu à Montréal depuis le dernier millénaire, qui a mis le feu au Centre Bell hier soir. Ils étaient un peu plus de 11 500, un public nettement plus jeune que celui de la moyenne des rockers sexagénaires, à goûter pleinement le meilleur show rock auquel nous ayons eu droit en 2008.

Tous les Neil Young que l'on aime étaient de la partie. Le rocker décapant qui a parti le bal à coups de solos de guitare incendiaires dans One and Only Love et la très fuzzée Hey Hey, My My qu'un autre que Young aurait gardée pour le rappel. L'émouvant chanteur de ballades country-rock immortelles comme Heart of Gold et Old Man que la foule a accueillies dans le délire avant de les chanter avec la vedette. L'as créateur de chansons rock parfaites comme Cinnamon Girl ou Powderfinger qui viennent nous chercher comme la première fois qu'on les a entendues.

Si Young peut se permettre de puiser dans la totalité de son vaste répertoire, c'est qu'il est superbement entouré. Je pense à Ben Keith, le vieux complice qui lui a fait découvrir la pedal steel au début des années 70, à la section rythmique bétonnée de Chad Cromwell et Rick Rosas, essentielle au rock pesant de Young, mais aussi - j'allais dire surtout - aux voix de Anthony Crawford et Pegi Young, sa femme à qui il a chanté Happy Birthday hier soir, sans oublier le type aux cheveux blancs qui est venu jouer du banjo pendant Old Man.

Le public, très conscient de sa chance, a accueilli Neil Young en héros. Et celui-ci lui a rendu la pareille en se donnant encore plus que d'ordinaire. Le guitariste et chanteur possédé jouait encore Rockin' in the Free World après deux heures de musique intense. C'était avant le rappel, rien de moins que A Day in the Life des Beatles dont notre espion, habituellement très fiable, nous dit qu'elle était é-coeu-ran-te!

Neil Young a été tellement bon qu'on n'a plus d'espace pour vous dire tout le bien qu'on pense de Wilco et de son rock sophistiqué ni de Everest, les deux groupes qui ont précédé Young sur scène, faisant de cette soirée un des grands rendez-vous des dernières années au Centre Bell.