Pas de tataouinage. Hier soir au théâtre Saint-Denis, Beck n'a pas coupé ses longs cheveux en quatre, n'est pas non plus passé par quatre chemins pour faire en sorte qu'on en arrive à la conclusion suivante: le meilleur show auquel on pouvait s'attendre du prolifique Californien.

Il a d'abord clanché Loser, assortie de spoken words enrobés d'un rock incandescent, gonflé de distorsion. Pendant que le marteau défonçait l'enclume, l'auditoire entier s'est levé d'un trait pour ne plus se rasseoir. Le ton était donné pour les quatre chansons suivantes; jusqu'à la très connue (et très attendue) Devil's Haircut, Beck a enchaîné Nausea, Girl et Timebomb dans le tapis.

Les guitares bien en avant, les claviers en mode ouragan, la batterie beaucoup plus robuste que sur le récent Modern Guilt. Nous étions en voiture (plutôt en 18 roues!) pour un périple de 90 minutes avec Beck, en route vers l'essentiel. La scénographie était, d'ailleurs, à l'image de ce choix esthétique presque minimaliste: des spots de cinéma, un rideau de lumière (technologie LED, comme au dernier spectacle de Radiohead), motifs simples et évocateurs, peu de couleurs dans l'imagerie. Très beau travail visuel, de surcroît.

On sait l'éclectisme du musicien, auteur et compositeur; on pouvait déjà passer à autre chose, fins prêts pour Soul Suckin Jerk, Mixed Bizzness, Nicotine&Gravy ainsi que Guero, tous malaxés dans un baril de funk bouillant. Il était d'autant plus jouissif de voir ces musiciens blancs pulvériser leurs propres barrières stylistiques sans se renier, c'est-à-dire en conservant un esprit rock tout en acquérant la flexibilité et la souplesse qu'exigent la soul et le funk.

Cette séquence a culminé dans un rap brillant lorsque Beck et ses collègues se sont munis de casques de régisseurs de plateau et de bidules électros, de manière à pomper des rythmes et générer des sons on ne peut plus baraqués pour ainsi nous balancer Hell Yess, suivie de Black Tambourine.

Sans perdre un iota de son intensité, la formation passait alors à une suite plus indie pop: Think I'm In Love, Modern Guilt ou Walls ont néanmoins été interprétées avec beaucoup plus de virilité que sur disque - et j'inclus le jeu de la très compétente et non moins mignonne guitariste lead, qui n'avait vraiment pas le profil d'un pan de mur!

Même la chanson Orphans (tirée de Modern Guilt) rappelait les Beatles période Revolver, le doigt sur la gachette. Même Chemtrails, très pinkfloydienne sur disque, était devenue plus massive et moins LSD sur scène.

Puis Beck a invité les musiciens du jeune et très solide groupe américain MGMT (qui avait assuré une fort bonne première partie), à offrir quelques reprises aux fans: The 15th de Wire (qui s'était produit la veille au National), Planet Queen de T-Rex, The Wind Cries Mary de Jimi Hendrix, Leopard Skin de Bob Dylan.

Pour employer un euphémisme, l'auditoire était galvanisé pour la dernière ligne droite d'un spectacle dense, concis, enhaînement de tableaux parfaitement circonscrits: au dessert, on nous a servi l'incontournable Where It's At, en plus de Gamma Ray et E-Pro. En somme, 25 chansons en 90 minutes. Nous étions plusieurs à conclure que cette heure et demie valait certes le double de l'escale précédente de Beck à Montréal.

Comme prévu, on aura aussi constaté que ce surdoué de l'éclectisme pop a atteint sa forme classique. Mais quelle forme!