C'était un secret qu'on nous avait demandé de garder. Maintenant, tout le monde le sait. André Laplante a été attaqué par un inconnu le dimanche soir 29 avril, la veille de son récital prévu à Pro Musica. C'est la raison pour laquelle le récital fut reporté d'une semaine.

Une salle bien remplie l'a accueilli à la Maison symphonique et l'a trouvé dans une forme magnifique à tous égards. Qu'il sache que nous sommes tous très sensibles à l'horreur qu'il a vécue.

André Laplante aura bientôt 62 ans. Il a connu, comme pianiste et comme musicien, un cheminement difficile, pour atteindre finalement la pleine maturité. Le récital qu'il a offert est le fait d'un artiste d'envergure.

À l'exception des deux courtes pièces des dernières années de Liszt, jouées dans un ordre inversé - Nuages gris en premier, En rêve ensuite -, le programme était entièrement composé d'oeuvres que j'ai entendues maintes fois sous les doigts de Laplante, mais dans un contexte moins heureux. Il y eut bien quelques fausses notes ici et là, comme chez la plupart des pianistes. Rien de tragique. Autrefois, les fausses notes faisaient pour ainsi dire partie de la personnalité de notre pianiste.

Pro Musica avait d'abord annoncé qu'il jouerait le premier volet du triptyque pour orgue de Bach, Toccata, Adagio et Fugue, transcrit par Busoni, mais c'est le volet central qu'on entendit: l'Adagio en la mineur. Une interprétation sobre, intérieure, hélas! difficile à suivre à cause des toux carrément explosives qui fusaient de partout.

Laplante n'est pas le plus grand mozartien qui soit, mais sa Sonate K. 282 reste éminemment respectable, surtout qu'il la donne avec toutes les reprises sans exception, ce qui équivaut à écouter la sonate deux fois de suite. L'ornementation lui semble étrangère cependant. Il n'a risqué qu'un seul ornement, minuscule et comme accidentel, dans une reprise.

La Sonate Les Adieux, oeuvre à programme décrivant trois états d'âme chez Beethoven, fut traduite dans cet esprit, mais avec rigueur, sans pathos.

Les deux petites pièces de Liszt qui précédaient le Beethoven ne sont pas représentatives du langage du compositeur et ne laissèrent aucune impression. Le grand Liszt, c'est la Sonate en si mineur. Ce sommet du répertoire fut aussi le sommet du récital. Laplante y atteignit, tout à la fois, le maximum de puissance et de douceur, de dramatisme et d'intériorité, conservant du commencement à la fin une parfaite indépendance des deux mains et une parfaite clarté de jeu. Une vision mémorable, à laquelle il n'y avait rien à ajouter. Mais le pianiste ajouta immédiatement quelque chose: de Liszt encore, le Sonetto 104 del Petrarca.

ANDRÉ LAPLANTE, pianiste. Mercredi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation: Société Pro Musica.

Programme: Adagio, de la Toccata, Adagio et Fugue, en do majeur, pour orgue, BWV 564 (c. 1709) - J. S. Bach, arr. Busoni Sonate no 4, en mi bémol majeur, K. 282 (1774) - Mozart Nuages gris, S. 199 (1881); En rêve, S. 207 (1886) - Liszt Sonate no 26, en mi bémol majeur, op. 81a (Les Adieux) (1809-10) - Beethoven Sonate en si mineur, S. 178 (1852-53) - Liszt