On pourrait se questionner sur l'utilisation optimale des 14 musiciens et chanteurs mis à contribution. On pourrait se formaliser de la justesse pas toujours parfaite ou de la relative ténuité vocale de son soliste, en l'occurrence l'auteur, compositeur, interprète et concepteur de cette entreprise. Ce serait trébucher dans les fleurs du tapis.

Ces détails sont futiles dans le contexte de ces magnifiques Variations fantômes, présentées par Philippe B en version orchestrale au Conservatoire de Musique de Montréal. Dès la première exécution, on a deviné vendredi que ce travail de relecture était sérieux et inspiré, le tout présenté par un artiste dont le charisme pince-sans-rire opère du début à la fin. De surcroît, par un trentenaire doté d'une sensibilité et d'un intellect qui l'élèvent nettement au-dessus de la mêlée chansonnière québécoise.

Pour Hypnagogie, la réduction d'orchestre signée Marc Hyland conservait parfaitement l'esprit de l'extrait de La baigneuse de Trouville. Sans problème aucun, cet influx de Francis Poulenc s'arrimait à la chanson magnifiée par une interprétation sur scène.

S'ensuivit L'été, arrangement libre d'Alexis Raynault, fondé sur L'été (adagio) des Quatre saisons de Vivaldi, a  mis en relief la dynamique du Quatuor MMolinariet des sopranos Ariane Girard et Maude Côté Gendron.

Pour La Ballerine, le travail de l'arrangeur Hugo Mayrand m'a semblé une belle transposition  du Cygne, tiré du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. On y a noté des lignes élégantes de harpe, hautbois et cordes.

Dans Petite leçon de ténèbres, le folk guitaristique de Philippe B s'est fondu dans les Leçons de ténèbres du compositeur baroque François Couperin. Les voix classiques y ont ponctué la mélodie du chanteur principal à la manière d'un dialogue lyrique.

L'emprunt mélodique de Mort et transfiguration de Richard Strauss était le prétexte classique d'un auto-requiem avec juste dose d'autodérision. Juste était également la mise en relief des cordes selon un arrangement de Pierre-Alain Bouvrette.

Cordes aussi en évidence pour Nocturne #632, mélodie originale sur laquelle se déploie un superbe épilogue conjugal.

Au programme de ses Variations fantômes, Philippe B a ajouté quelques-uns de ses «classiques» (désignés non sans humour!), à commencer par ces «souvenirs en archipels» réunis dans une chanson de «déniaisage» post-pubère et abitibienne - l'auteur-compositeur-interprète est originaire de Rouyn-Noranda.

De Ravel, Le tombeau de Couperin s'est transformé en Tombeau de Nick Drake, une instrumentale arrangée par un Marc Hyland des plus inspirés.

Les Prisonniers du Lac Dufault, «fable romantico érotique de Noël» que Philippe B avait lancé en 2005 pour ainsi préfigurer la démarche des Variations fantômes (soit l'inclusion de musiques classiques préenregistrées à la création de chansons inédites), s'inspire du Cantique de Jean Racine ainsi que du Requiem de Fauré.  On y met ainsi en évidence le chant des sopranos ainsi qu'une approche chorale impliquant toutes les ressources vocales de l'orchestre, sans compter l'harmonica et le lap-steel. Dans ce cadre, l'arrangement de Philippe B m'a semblé relativement conforme à l'enregistrement originel.

Puis un bout des Trois morceaux en forme de poire de Satie est devenu le matériau de Reprise, une chanson de facture psych folk et qui survole un couple apparemment heureux de s'aimer. L'arrangement de Guido del Fabro a prévu des cordes pincées côté quatuor et harpe mais aussi une participation active des bois et cuivres, sans compter la percussion.

La béatitude amoureuse mise en scène dans Ma photographe, un folk sans emprunt classique signé Philippe B, comportait un arrangement simple de Marc Hyland. Cordes pincées, contrebasse, etc...

Chanson pathétique a impliqué une puissante réduction d'orchestre que préconisent certains passages de la Symphonie no 6 (La Pathétique) de Tchaïkovsky.

Après quoi on a eu droit à une interprétation bien sentie du Premier mouvement (Allegro) du Quatuor à cordes no.14 (La jeune fille et la mort) de Schubert, gracieuseté du Quatuor Molinari. C'était en guise d'introduction  à cette utilisation de l'oeuvre classique dans la chanson California Girl qui fut jouée par la suite.  Pour cette relecture, j'aurais aimé que l'orchestre de chambre (hybride) soit mieux exploité; l'arrangement de Philippe B m'a semblé un peu trop mince.

Dans Taxidermie, chanson titre d'un album de Philippe B lancé en 2008, les bois et cuivres du Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy s'amalgament au  texte et aux motifs de guitare. C'était un arrangement de Philippe B en collaboration avec Hugo Mayrand.

«Tiens... une autre chanson sur la mort», a ironisé son auteur, ayant prévu un emprunt de la Messe no.6 en mi bémol majeur de Schubert dans cette Croix de chemin, arrangée par Guido del Fabro pour la relecture avec musiciens en chair et en os.

Marie, un texte consacré à l'observation fine d'une danseuse et chorégraphe, est devenu le prétexte d'une expression corporelle où plusieurs membres de l'orchestre ont été mis à contribution. Ornemental, avons-nous noté.

Dernière au programme, L'amour est un fantôme procédait d'une réduction d'orchestre de L'Hiver (Adagio) des Quatre saisons de Vivaldi, conçue par Philippe B et Hugo Mayrand. L'usage de la distorsion pour la guitare (de Joseph Marchand) dans l'arrangement n'avait rien de désagréable!

Vu l'imminence d'une seconde représentation prévue ce même vendredi, Philippe B n'a pu donner que deux rappels à son auditoire en liesse qui lui en aurait réclamé davantage : Berceuse, servie dans son plus simple appareil, et Chelsea mon amour avec arrangement puisque l'interprétation originelle prévoyait des cordes.

Bien sûr, ce n'était pas parfait. Certaines pièces auraient pu être arrangées et interprétées différemment mais... au finish, le sentiment d'avoir vécu une expérience vibrante et inédite l'emportait largement sur toutes réserves. Reste à souhaiter que ces Variations fantômes rhabillées de telle façon puissent être de nouveau présentées au public québécois, ce qui est loin d'être évident dans notre petit marché. Osons croire que c'est chose possible.