Il était presque 21h15, et des dizaines de milliers de fans de U2 faisaient la vague pour passer le temps quand les premières notes de Space Oddity de David Bowie ont été entendues dans le grand stade aménagé sur le site du défunt Hippodrome. Presque au même moment, la flèche qui domine l'immense structure métallique à laquelle est accroché tout l'attirail du groupe irlandais a relâché de la fumée et on s'est demandé si Bono venait d'être élu pape.

Mais non, le charismatique chanteur aux multiples causes fermait la marche derrière ses copains astronautes sur l'écran cylindrique top moderne au-dessus de la scène. U2 s'est immédiatement lancé dans quatre chansons de son album-monument Achtung Baby, qui fête ses 20 ans cette année.

La sono pendant Even Better Than the Real Thing et The Fly était approximative, peu importe, la soirée démarrait sur une note énergique. Tout s'est placé à temps pour Mysterious Ways, mais c'est avec Until the End of the World que c'est devenu un vrai spectacle de U2. Bono s'est pointé sur la passerelle entre deux couches de spectateurs, il a serré des mains et s'est mis à citer Leonard Cohen. Puis deux ponts se sont rapprochés à partir desquels Bono et The Edge se sont tendu la main, en vain, comme Judas et Jésus dans la chanson.

L'instant d'après, ce fut l'hymne d'adolescence un peu punkisant I Will Follow et les gradins de la section 108 se sont mis à trembler sous quelques milliers de pieds battant le rythme. Avant I Still Haven't Found What I'm Looking For, Bono a présenté ses camarades. «Ce soir, nous commençons notre tournée royale au Canada, nous sommes les Irlandais royaux», a-t-il dit sous des applaudissements nourris. La foule est devenue chorale et elle a même chanté avec Bono la ballade Stay (Faraway So Close).

Depuis le tout début, cette foule conquise était debout et elle l'est demeurée quand, sur le grand écran, le commandant de la station spatiale internationale a salué Montréal et a annoncé Beautiful Day pendant laquelle l'homme de l'espace a même récité un bout de la chanson. Bono a salué son ami Guy Laliberté deux fois plutôt qu'une et, pour ne pas être en reste, il a chanté des bribes de Space Oddity comme il avait emprunté The Promised Land à Springsteen cinq minutes plus tôt.

Un show intime dans un grand stade

Pour tout dire, c'était le U2 classique à son mieux, qui ne s'excusait surtout pas d'aligner ses grands succès quitte à y glisser la plus récente Get On You Boots. Montréal a dû patienter un an pour acclamer les Irlandais, mais ce qu'il y a de bien avec une fin de tournée, c'est qu'on n'est pas tenus de nous servir une double ration du dernier album, surtout que No Line On the Horizon n'est pas un grand cru des Irlandais.

Mais le plus beau dans tout cela, c'est que rapidement, la scène futuriste et les très belles projections sur l'écran - la biosphère/ruche géante de Zooropa était spec-ta-cu-lai-re! -, tous ces accessoires de la tournée 360° sont devenus, justement, des accessoires éclipsés par un grand groupe et ses chansons chéries.

Le public délirait comme il le faisait devant quatre jeunes Irlandais au Forum, le 27 mars 1985. U2 avait fait le pari de monter un show intime dans un grand stade et il y parvenait sans effort apparent.

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Après U2, le déluge

Une bonne partie des 80 000 spectateurs qui ont assisté au premier concert de U2 vendredi soir ont été quitte pour une bonne douche. Le groupe irlandais venait tout juste de jouer la dernière chanson au programme - Moment of Surrender - quand la pluie s'est mise à tomber un peu avant 23h30.

Ce n'étaient plus les sympathiques gouttelettes qui s'étaient invitées à l'Hippodrome vers la fin du concert, mais de véritables bourrasques de pluie. Pendant que Bono et ses trois perspicaces amis chantaient a cappella Rain des Beatles, en insistant sur le "we don't mind" final, la pluie commençait déjà à asperger les spectateurs dans les gradins dont les marches devenaient de plus en plus glissantes.

Ils étaient des milliers, détrempés, à s'engouffrer dans un entonnoir en direction de l'autoroute Décarie et de la station de métro Namur. Leur fallait d'abord contourner les clôtures qui ralentissaient considérablement la circulation. Immobilisés, bon nombre d'entre eux ont fait contre mauvaise fortune bon coeur en entonnant l'hymne de rassemblement qu'on entend tout le temps dans les compétitions sportives: olé, olé, olé, olé!

Après avoir évité tant bien que mal les nombreuses flaques d'eau jusqu'à l'intersection Décarie-Jean-Talon, il a fallu se rendre à l'évidence: la station Namur ne pouvait accueillir cette mer de monde qui, espéraient les organisateurs, aurait peut-être fêté un peu plus longtemps sur le site de l'Hippodrome s'il n'avait pas plu. À 2h, un spectateur nous a envoyé un courriel: «30 min. pour se rendre au métro, 30 min. pour y entrer. On peut dire que l'on était trempé jusqu'aux os.»

Des centaines de personnes ont préféré marcher sur Décarie en direction sud sous la pluie battante. Un jeune couple a tourné à gauche sur Queen-Mary en espérant prendre le métro à Snowdon, la station de la dernière chance, pour regagner Verdun: la station suivante, Villa-Maria, est fermée pour l'été et il commençait à se faire tard.

Finalement, nous aurons mis une heure et demie à rentrer chez nous à pied. NDG dormait déjà sur ses deux oreilles à l'exception des quelques joyeux fêtards venus de l'Hippodrome qui chantaient encore olé, olé, olé, olé sur Côte-Saint-Luc vers minuit 45.