Rentrée printanière mercredi soir dernier pour Jorane, seule sur la grande scène de l'Usine C avec son inséparable violoncelle, une petite harpe et un (encore plus petit) ukulélé. Avec comme prétexte son album de reprises Une sorcière comme les autres, la musicienne a revisité, avec la candeur et l'intensité qu'on lui connaît, ses propres compositions.

Le genre de soirée qui nous ré- concilie avec Jorane. Confession: notre intérêt pour son travail s'était lentement étiolé depuis qu'elle a cessé de chanter en «joranien» pour embrasser la langue anglaise - vers The You and The Now (2004). Et, plus récemment, l'inégal album qu'elle venait défendre sur scène semblait contenir autant de révélations que d'éléments irritants.

Ça, c'était avant d'entendre ce qu'elle voulait en faire sur scène. Ce qu'elle voulait nous faire vivre. Ce qu'elle avait besoin d'expérimenter, à sa manière bien personnelle. Je suis ressorti de l'Usine C pleine à craquer avec le sentiment d'avoir compris combien ce Une sorcière comme les autres était nécessaire.

À 20h pile, Jorane est apparue sur scène telle qu'on la connaît, pieds nus, dans une robe noire pas sobre du tout, ses longs cheveux qui pendent et ce sourire franc, l'air candide et complice. Applaudissements, auxquels elle répond par un «merci!» qui se brise sur la seconde syllabe. Oh! Problème de voix? «Ça va bien, malgré la grippe, malgré la congestion... Parce que j'aime», dit-elle, attaquant d'emblée avec Les gens qui doutent, autre belle chanson d'Anne Sylvestre: «J'aime les gens qui doutent/Les gens qui trop écoutent...»

Elle nous a aimés longtemps, Jorane, parce que le public était pendu à ses lèvres. Sa voix? Nuancée, pour faire changement, sur cette première chanson. Il y a bien eu quelques notes fragiles en cours de soirée, mais ça n'a presque pas paru. Cette première interprétation était brillante: Jorane chantait sans surjouer, chantait un texte au lieu d'une cascade de phonèmes.

«Envoûtante!», lui a lancé un fan, au milieu du concert. Totalement... pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur a fait sa marque. Le pire? Jorane est un incontrôlable torrent. Sa voix est partout, elle occupe toute la place, laissée libre par des arrangements de violoncelle pincé souvent discrets. Elle expulse ses émotions, c'est presque instinctif, la musique éclabousse les rangées devant elle.

Lorsqu'on chante des sons, des syllabes indistinctes, ça passe. Lorsqu'on défend un texte, on risque de passer à côté de l'émotion. Plus que sur disque, sur scène, mercredi soir dernier, Jorane a fait la démonstration qu'elle savait harnacher sa fureur et se mettre au service des Cohen, Vigneault et Lanois, dont elle articule les mots.

La troisième chanson qu'elle a offerte fut En pleine face d'Harmonium. Les frissons! Splendide relecture, tout en nuances et en contrôle quand il le faut, le jeu de violoncelle qu'elle sert fort près d'elle étonnamment coloré. Même secousse pour la chanson titre de son dernier disque (aussi de Sylvestre), chantée en deuxième partie. En hommage à Diane Dufresne, «une grande sorcière québécoise», elle s'est surpassée, plongeant dans le classique J'ai douze ans.

Tout n'était pas parfait - pendant que les champs brûlent de Niagara n'est pas une chanson guillerette comme le laissait croire l'interprétation tout sourire de la musicienne -, mais tout est nécessaire. Une sorcière... est un projet transitoire qui fera de Jorane une interprète intelligente et sensible, pas moins débordante d'émotion, seulement d'une émotion mieux canalisée, collée aux mots qu'elle revendique désormais. Fallait la voir en concert pour le comprendre.