La chose est de plus en plus courante : les concerts portent maintenant des titres. Celui des Violons du Roy, hier soir à St. James United, s'intitulait fort prétentieusement Le Monde selon Tharaud et faisait évidemment référence au soliste de la soirée.

Quelqu'un, sans doute un agent de marketing, a pondu cette trouvaille, Le Monde selon Tharaud, comme il aurait dit, sans changer de ton, La Passion selon saint Matthieu.

Dans le présent contexte, le mot «selon» correspond à «de». Le monde du pianiste français Alexandre Tharaud se résumerait donc à deux concertos, le Ré majeur de Haydn et le Jeunehomme de Mozart, et à deux petites symphonies de l'Allemand Joseph Martin Kraus, obscur contemporain de Mozart fixé en Suède où il mourut.

En d'autres termes, le titre ne voulait strictement rien dire sur le papier et nous paraissait tout aussi vide après le concert.

Voyons d'abord la «nouveauté» du programme. J. M. Kraus fut maître de chapelle à la cour de Gustave III de Suède, ce même monarque qu'on retrouve dans la version originale d'Un Ballo in maschera de Verdi et dont la mort inspira à Kraus une Cantate funèbre.

L'énorme production de Kraus comprend une vingtaine de symphonies dont Naxos a entrepris l'enregistrement intégral. Hier soir, Bernard Labadie en offrait deux, de tonalités différentes, et portant les numéros 130 et 141 au catalogue des oeuvres de Kraus établi par le musicologue américain Bertil van Boer (d'où les lettres VB accompagnant les titres des oeuvres).

Toutes deux en trois mouvements suivant la formule vif-lent-vif, elles rappellent, le génie en moins, les symphonies de Haydn et de Mozart. Elles sont habilement tournées et comportent certains développements assez originaux, mais leur principal intérêt - pour ne pas dire le seul - est de mettre en valeur la virtuosité d'un ensemble comme celui des Violons du Roy. À cet égard, l'exécution fut irréprochable, et ce jusque dans les longues séquences où les groupes se répondent avec une extrême rapidité.

Chaque symphonie fut suivie d'un concerto. C'est-à-dire qu'on déplaça le piano deux fois, alors qu'il eût été si simple de donner les deux concertos avant et après l'entracte.

Suivant sa mauvaise habitude, M. Tharaud - qui a 42 ans mais ne paraît pas du tout son âge! - avait encore la partition devant lui pour les deux concertos, qu'il a joués avec une technique très propre. Dans le Haydn, il souligna la main gauche ici et là et apporta un certain esprit au finale. Mais son Mozart sans imagination semblait presque aussi ennuyeux que les pages du petit maître Kraus.

Labadie l'a secondé avec attention, assortissant le Mozart d'accents beaucoup plus marqués que ce qu'indique la partition - sans parler des interventions non sollicitées des charrues à neige à l'oeuvre derrière l'église! Le pianiste jouait ses propres cadences dans le Haydn et celles de Mozart dans l'autre concerto.

L'auditoire considérable -- l'église contient 1 000 personnes - lui fit une ovation délirante qui n'avait pourtant rien à voir avec ce qu'il venait d'offrir. Il donna un rappel, sans daigner l'identifier. Il s'agirait d'un mouvement de concerto de Marcello écrit à l'origine pour hautbois - en fait, un petit morceau assez insignifiant pour qu'on ne cherche pas à en savoir davantage.

LES VIOLONS DU ROY. Chef d'orchestre: Bernard Labadie. Soliste: Alexandre Tharaud, pianiste. Hier soir, St. James United Church.

Programme :

> Symphonie en mi mineur, VB 141 (1782-83) - Kraus

> Concerto pour piano et orchestre en ré majeur, Hob. XVIII : 11 (1782) - Haydn

> Symphonie en fa majeur, VB 130 (1772) - Kraus

> Concerto pour piano et orchestre no 9, en mi bémol majeur, K. 271 (Jeunehomme) (1777) - Mozart