Puisque la fin tragique de Werther se déroule pendant la nuit de Noël, le metteur en scène de la présente production de l'Opéra de Montréal a décidé d'agrémenter le spectacle d'un petit réveillon. Comme ça, tout simplement. Même si la partition ne contient absolument aucune indication en ce sens.

C'est ainsi que Charlotte plante là ses invités pour courir -- ici, plateau tournant et rapide changement de décor - vers la maison de Werther qu'elle trouve à l'agonie. Le poète s'est donné la mort parce que la femme qu'il aime a été forcée d'en épouser un autre.

Le réveillon n'est pas la seule bizarrerie offerte ici. L'action a été considérablement déplacée: de Wetzlar, petite ville d'Allemagne, avec son clocher et sa place publique, vers 1780, on passe à ce qui pourrait être une demeure d'Europe ou d'Amérique vers 1920, avec robes et autres costumes à l'avenant.

Je dis bien «pourrait» car on ne sait pas au juste où l'on est : on aperçoit une sorte de champ de foin au second plan, alors que le devant de la scène, supposément l'intérieur d'une maison, est occupé par une table, une balançoire et des bicyclettes. Plus tard, lorsque Werther, évoquant son heureux passé avec Charlotte, lui dit: «Voici le clavecin qui chantait mes bonheurs», c'est bien en vain qu'on cherche un clavecin sur la scène! Tout ce qu'on voit, c'est un sofa.

Donc, cette fois encore, une transposition de lieu et d'époque qui n'apporte strictement rien au sujet, qui le déforme même. Le «concepteur» a voulu faire parler de lui: voilà, c'est fait!

Au plan musical, la principale nouveauté de cette production est le recours à la version où le rôle de Werther est confié à un baryton. Pour les détails, je renvoie le lecteur à mon article de présentation paru samedi. Ainsi abaissée, la ligne de chant prend sans doute une couleur sombre qui sied au caractère troublé du personnage, mais l'adaptation ne remplace pas l'original. Alfredo Kraus fut un Werther ténor parfaitement convaincant. De plus, la modification réduit de beaucoup l'éclat et la séduction des grands airs du héros.

La soirée est très longue : près de trois heures, y compris deux entractes. Le bavardage au début est interminable, mais, ici, Massenet et ses librettistes sont en cause. Toute l'action tourne autour des amours impossibles de Werther et Charlotte. Phillip Addis et Michèle Losier sont très lents à nous convaincre, vocalement et dramatiquement. Même abaissées, certaines notes sont encore trop hautes pour Addis qui, par ailleurs, détonne ici et là et pousse un timbre métallique, alors que la voix de Losier manque de puissance et de couleur.

Comme comédiens, ils sont d'abord plutôt faibles. Il est vrai qu'ils ne sont pas aidés par le metteur en scène. À la fin du premier acte, la partition indique qu'ils chantent le touchant «Il faut nous séparer» en se tenant par le bras. Rien de plus logique. Ici, chacun va de son côté, dans le champ de foin de tout à l'heure, comme cherchant quelque chose par terre.

Vers la fin du deuxième acte, lorsque Charlotte somme Werther de partir, une sorte d'énergie miraculeuse s'empare des deux protagonistes et les habitera jusqu'à la fin. On sent derrière la pudeur de la femme mariée un sentiment aussi fort que celui qui anime le poète et, dans le même souffle, les voix s'épanouissent enfin.

La diction française est excellente chez tous; elle est même étonnante chez Addis. Le sévère Albert et le sympathique Bailli sont joués comme tels par Stephen Hegedus et Alain Coulombe. Bonnes voix dans les deux cas. Le brin de soleil qui vient sans cesse égayer le sombre tableau s'appelle Suzanne Rigden, c'est-à-dire Sophie. Les petits rôles sont bien tenus, les enfants chantent bien et les éclairages sont très vivants.

Dans la fosse, Jean-Marie Zeitouni confirme ses solides qualités de chef d'opéra. En plus d'être très attentif à tout ce qui se passe sur la scène, il obtient d'un OSM en grande forme une prestation tour à tour très dramatique et très fine. Pendant toute la première moitié de l'opéra, cette présence nous donne le Werther que nous refuse le plateau.

WERTHER, opéra en quatre actes (cinq tableaux), livret d'Édouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann d'après le roman Die Leiden des jungen Werthers («Les Souffrances du jeune Werther») de Johann Wolfgang von Goethe, musique de Jules Massenet (1887-92).

Production : Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première hier soir. Autres représentations : 26, 29 et 31 janvier et 3 février, à 20 h. Avec surtitres français et anglais.

Distribution:

Werther, jeune poète : Phillip Addis, baryton

Charlotte, fille aînée du Bailli : Michèle Losier, mezzo-soprano

Albert, époux de Charlotte : Stephen Hegedus, baryton

Le Bailli : Alain Coulombe, basse

Sophie, jeune soeur de Charlotte : Suzanne Rigden, soprano

Schmidt et Johann, amis du Bailli : Riccardo Ianello, ténor, et Normand Richard, baryton

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Mise en scène : Elijah Moshinsky, réalisation : Christopher Dawes

Décors : Michael Yeargan (location, Opera Australia)

Costumes : Claudia et Sabrina Barilà

Éclairages : Anne-Catherine Simard-Deraspe

Orchestre Symphonique de Montréal et membres des Petits Chanteurs du Mont-Royal, des Voix Boréales et de FACE

Direction musicale : Jean-Marie Zeitouni