Peu de groupes peuvent se vanter d'avoir eu deux vies. Green Day est de ceux-là comme on a encore pu le constater samedi soir au Quai Jacques-Cartier où, parmi les 9000 spectateurs qui ont bravé une pluie insistante, on a vu des ados et même des enfants qui, à en juger par leur enthousiasme, n'étaient pas là pour faire plaisir à papa et maman.

Il y avait évidemment à ce spectacle de près de trois heures des convertis des années 90 qui ont craqué pour Dookie, mais sans doute davantage de mordus des récents albums American Idiot et 21st Century Breakdown pour qui Green Day est un groupe du nouveau millénaire qui donne dans l'opéra rock à connotation sociale. L'inépuisable chanteur et guitariste Billy Joe Armstrong a même jugé bon de demander aux spectateurs s'il se trouvait parmi eux des fans «vieille école» de Green Day avant de leur servir des choses moins récentes comme Welcome To Paradise, F.O.D. et Geek Stink Breath.

Le renouvellement du public de Green Day était encore plus évident chaque fois - j'ai arrêté de les compter... - que Billy Joe invitait des spectateurs à monter sur scène et que des hordes d'ados s'y précipitaient pour chanter, danser, lever le poing ou s'adonner aux joies du headbanging autour de la batterie de Tré Cool tout en prenant sa photo. Il est comme ça, Billy Joe : quand il tient une idée qui marche, il l'exploite à répétition, haranguant la foule tel un jeune Ozzy Osbourne («let's go fucking crazy!»), l'intimant de chanter «é-o» après lui et de balancer les bras pendant une power ballad, l'arrosant avec un boyau quand la pluie faisait déjà plutôt bien le travail, exhibant ses fesses à la manière d'Angus Young ou projetant des t-shirts dans la foule à l'aide d'un canon comme on en voit au hockey. Il a même cédé son micro à un fan détrempé qui a chanté Longview avec une belle conviction avant de repartir avec la guitare de son idole.

Ce public obéit au doigt et à l'oeil, trop heureux d'applaudir un groupe dynamique et généreux qui lui sert un condensé de l'histoire du rock de guitare des 50 dernières années. Green Day ne se contente pas de flirter avec le punk-rock de ses premières chansons, il donne également dans le rock de garage des années 60 (Paper Lanterns), survole les années 70 en mêlant le glam-rock au punk-rock (Jesus of Suburbia) et se permet même une incursion dans le folk-rock-trad proche des Pogues (Minority).

Les trois gars de Green Day - et les trois musiciens qui les accompagnent - connaissent leurs classiques, mais ils en abusent un peu trop dans deux enchaînements brouillons et interminables : un premier, plus hard, qui va de Black Sabbath à AC/DC en passant par Guns 'n Roses et même Lynyrd Skynyrd (Sweet Home...Montreal) et l'autre où le rhythm and blues et la soul mènent aux Doors, aux Stones, aux Who et aux Beatles. Le numéro de cabaret/travestis pendant King For a Day n'était pas non plus d'un grand intérêt.

Mais ce ne sont là que de légers bémols. Combien de groupes sont capables de magnétiser des milliers de spectateurs par un temps aussi maussade un an à peine après un spectacle au Centre Bell qui proposait à peu de choses près la même sélection de chansons? Voilà qui en dit long sur le pouvoir de séduction du rock mélodique de Green Day et sur sa fantaisie très proche de la bande dessinée qui explique sûrement en partie l'attrait qu'il exerce sur un plus jeune public.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Des spectatrices en liesse.