Keith Emerson et Greg Lake nous ont accueillis dans le décor de leur studio, mardi soir au Théâtre Maisonneuve, avant de nous expliquer que c'est justement là qu'ils ont eu l'idée de cette tournée intime à deux, sans le batteur Carl Palmer.

Le troisième membre du célèbre groupe progressif des années 70 s'est engagé à tourner avec Asia, un rejeton des années 80, mais ils renoueront tous les trois pour le concert de leur 40e anniversaire l'été prochain à Londres et il n'est pas impossible que ça leur donne le goût d'en faire d'autres.Bref, ELP était amputé d'un membre et ça s'entendait surtout dans la suite Tarkus et le medley d'America de Bernstein et de Blue Rondo a la Turk de Brubeck qu'Emerson a ressuscités de ses années avec le groupe Nice. Tarkus manquait nettement de puissance, tandis que Rondo sonnait cheapo avec sa batterie cannée. Idem pour The Barbarian, pâle copie de l'originale dont Emerson a rappelé qu'ils l'avaient chipée à Bartok.

Par contre, les ballades de Greg Lake, avec ELP ou King Crimson (From the Beginning, I Talk To the Wind, C'est la vie et l'inévitable Lucky Man assortie d'une intro inutile du claviériste Emerson), passaient mieux même si le monsieur n'a plus sa voix juste et nuancée d'antan. Il en a surtout arraché pendant la suite Pirates qui était pourtant nettement plus convaincante que Tarkus au plan musical.

On peut débattre longuement de la valeur et de la pertinence, 40 ans plus tard, de l'un des groupes phares d'un genre musical mis au ban de l'histoire du rock. Mais on ne peut nier le plaisir tangible qu'ont éprouvé les spectateurs qui emplissaient le Théâtre Maisonneuve. Des amateurs de musique qu'on oublie trop souvent, mais qui sont au rendez-vous les rares fois que leurs héros arrêtent en ville, même quand la chose est presque confidentielle.

On aurait dit les retrouvailles de vieux amis qui se sont aimés et qui se respectent toujours. C'était en tout cas l'un des concerts les plus sympathiques que j'ai vus depuis un bout de temps. Le prog rock a beau être pompeux par grands bouts, Keith Emerson et Greg Lake ne le sont pas le moins du monde. Ils présentent chacune des pièces, font des blagues et poussent même l'affabilité jusqu'à prendre cinq minutes pour répondre aux questions des spectateurs avant d'accueillir une fan sur scène pour autographier ses photos.

Emerson essaie encore, sans trop de conviction, de nous faire le coup du scientifique fou en tripotant son Moog, mais personne n'est vraiment dupe : on n'est plus en 1970 et l'instrument qui nous fascinait alors est aujourd'hui une amusante pièce de musée. Il n'est plus non plus le musicien qui nous impressionnait tant par sa technique et ses envolées tantôt classiques, tantôt jazzées.

Par contre, Emerson est capable d'autodérision lorsqu'il raconte, avec l'appui de Lake, la réaction de Leonard Bernstein face à leur musique : «Le chanteur n'est pas si mal...» Et quand il dit qu'il n'a jamais été aussi intimidé que lorsqu'il a croisé Oscar Peterson sur un plateau de télé, on le croit sur parole.

Bref, ce n'était pas le concert du siècle, mais la soirée a été fort agréable.