Vu superficiellement de l'extérieur, tout semblait facile pour Elisapie Isaac. Splendide Inuite venue de Salluit, la chanteuse montréalaise d'adoption semblait ouvrir aisément toutes les portes de son destin. C'était ainsi depuis l'époque de Taima, un groupe très prometteur et mort prématurément. Sollicitée de toutes parts, portée par un grand pouvoir attractif et un goût certain, Elisapie a mené une belle carrière solo... sans qu'on se roule sur le pergélisol.

Interprétés en inuktitut, surtout en anglais, peu en français, les albums There Will Be Stars (2009) et Traveling Love (2012) se sont inscrits dans l'air du temps, mais n'ont pas marqué l'imaginaire au-delà de l'auditoire franco-local branché ou semi-branché. La chanteuse y était bien entourée, pouvait compter sur l'exotisme nordique et ainsi proposer une oeuvre poétiquement chargée et musicalement substantielle.

S'ensuivit une pause d'intense procréation et de vie familiale qui, selon les dires de la principale intéressée, fut traversée par des tourments existentiels qui l'ont ramenée à ses terres septentrionales afin qu'elle y retrouve l'équilibre. Moult infusions de racines culturelles et gros travail sur soi ont été nécessaires pour que la lumière apparaisse au bout du tunnel.

Dans le contexte de la sortie de The Ballad of the Runaway Girl, Elisapie Isaac a raconté ce mur qu'elle a frappé lorsqu'elle a perdu ses repères et que la page de ses éventuelles créations est restée blanche comme les étendues nordiques qui lui manquaient cruellement. Des enfants plein les bras... peu de chansons à l'horizon, ténèbres de l'inspiration.

Assurément, le séjour au Nord fut bénéfique pour le rappel de ses sources folk et inuite, et cette rencontre avec le surdoué Joe Grass lui permit de retrouver le fil créateur. 

En résulte ce récit d'une longue fuite en avant et de sa conclusion dans le ressourcement. Elisapie Isaac a peut-être atteint la maturité brutalement, mais elle l'a néanmoins atteinte à travers The Ballad of the Runaway Girl; l'album et le concert présentent ses oeuvres les plus incarnées.

Jeudi au Monument-National, six musiciens accompagnaient la chanteuse vêtue d'une combinaison orange brûlé: autour de Joe Grass, on a vu s'exprimer deux batteurs, Robbie Kuster et Evan Tighe, le guitariste (invité) Nicolas Basque, le bassiste Josh Toal, la saxophoniste (baryton) Ida Toninato et la chanteuse Beatrice Deer qui fait aussi dans le jeu de gorge.

Au-dessus d'Elisapie sur scène, un écran circulaire, sorte de hublot sur le Grand Nord traditionnel où apparaissent des films d'époque. Devant et derrière elle, les lettres de son nom s'illuminent en langue inuktitut.

Tous ces éléments sont au service d'un superbe road trip de l'intérieur.

Élisapie choisit les trois langues de sa triple identité, elle accomplit enfin ce qu'elle a longtemps remis à plus tard malgré la coolitude de son personnage: lier son passé et son présent, offrir ce qu'elle a de mieux en elle.

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FOLK ROCK. The Ballad of the Runaway Girl. Elisapie Isaac. Bonsound.