Depuis ses débuts, la surdouée Janelle Monáe a évité toute question ayant trait à son orientation sexuelle, vu l'ambiguïté projetée par son personnage public. «I date androids», répondait-elle machinalement aux médias qui lui manifestaient cette curiosité jugée (probablement) intrusive. L'artiste faisait bien sûr référence à la dramaturgie afro-futuriste ayant marqué ses débuts mémorables; elle incarnait alors un personnage de synthèse à l'oeuvre dans un univers dystopique.

On s'était pâmé sur l'EP Metropolis: Suite I (The Chase) et surtout l'album The ArchAndroid, certes un des grands albums parus au tournant de la décennie. Arrangements fastes, brillants collages de pop, R&B, hip-hop, jazz et musique de chambre, feu roulant sur scène... quel festin! C'était il y a huit ans...

Après la lune de miel vint en 2013 l'opus The Electric Lady, déferlante pop aux références très précises, parfaitement maîtrisées. Un peu moins androïde, un peu plus Janelle, l'artiste multidisciplinaire s'est ensuite tournée vers le cinéma (Moonlight, Hidden Figures, bientôt The Women of Marwen), la revoilà sur le terrain de la musique.

Éléments autobiographiques

Largement diffusées sur le web, des interviews récentes données par l'artiste dévoilent son identité: africaine, américaine, féministe, «pansexuelle», c'est-à-dire que son attirance physique ou romantique pour d'autres humains n'exclut aucun sexe biologique, genre ou orientation sexuelle. Queer, en quelque sorte.

Est-il besoin d'ajouter que le thème de cette assomption rejaillit dans l'album Dirty Computer, sorti cinq ans après le précédent, The Electric Lady. Indirectement ou directement, les chansons au programme de cet album évoquent cette pansexualité, mais abordent aussi les questions du sexisme, du racisme, des drogues récréatives, d'une existence à la fois «folle et classique», de la transgression des règles. Diffraction autobiographique, posture critique, aspirations romantiques... Janelle Monáe Robinson accepte sa propre complexité, se révèle davantage, sans forcer la note.

En fait, ces révélations sur sa personne réelle l'emportent sur le wow musical que génère son nouvel opus. 

Moins aventureuse, elle zigzague entre pop FM, électro-afropop, soul, électro-funk des années 80, emprunts directs à Prince, avec qui elle aurait travaillé de près s'il n'avait pas abusé de fentanyl afin d'apaiser ses douleurs - c'est patent dans les chansons Americans ou Make Me Feel, quasi-calque de Kiss.

Cet enchaînement rétro n'est-il pas l'illustration d'un classicisme certain... et d'une minceur conceptuelle? Même à l'époque androïde, Janelle présentait un collage de références musicales antérieures à son époque, sélections afropop parfaitement maîtrisées, parfaitement reproduites et transcendées par des exécutions magistrales.

À la recherche du tube fédérateur

Cette fois, Janelle Monáe semble diluer la substance musicale de son approche originelle, c'est-à-dire viser davantage le tube fédérateur en élargissant ses collaborations à des concepteurs hyper pop tels les Suédois Mattman & Robin (Taylor Swift, P!nk, Britney Spears, etc.) ou indie pop (à commencer par Grimes), sans compter Pharrell Williams, Brian Wilson et Zoë Kravitz qui y font chacun une apparition.

Force est de conclure que la variété des styles répertoriés dans ce Dirty Computer n'est pas servie par des environnement sonores aussi riches qu'auparavant. Janelle Monáe a beau s'y révéler davantage en tant que personne en chair et en os, elle y ménage la chèvre et le chou dans sa dimension créatrice. Elle laisse les mélomanes sur leur appétit et ne convainc pas d'emblée sur sa capacité à conquérir les auditoires de masse.

Transgressions assumées dans la vie personnelle et... conventions dans la vie professionnelle? À suivre...

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SOUL, R&B, HIP-HOP. Dirty Computer. Janelle Monáe. Wondaland/Bad Boy/Atlantic.