Il est ici question d'un rêve éveillé, fascinant, insolite, soyeux, brutal, comme les artistes les plus doués savent en faire.

Le récit s'inspire d'abord d'une catastrophe naturelle, soit l'ouragan Sandy, survenu en octobre 2012. La trame onirique met en relief diverses réflexions poético-philosophiques: dégâts causés par une nature déchaînée, enregistrement expérimental avec micro-contacts posés sur le corps humain, diffusion de communications aérospatiales, toutes ces espèces animales disparues de notre monde...

Voilà autant de matériaux constitutifs d'un récit apparemment éclaté mais d'une cohérence exemplaire, comme Laurie Anderson sait en sculpter.

Sa voix calme, douce, à la fois bienveillante et narquoise, émerge de propositions électroacoustiques exécutées de concert avec le Kronos Quartet. Des frottements d'archets s'expriment au-dessus d'un bourdon de cordes, le rythme s'impose et s'atténue, la tonalité alterne avec l'atonalité, le bruit cohabite avec la mélodie consonante.

Le quatuor à cordes se montre ici sensible et ouvert à la violoniste que fut Laurie Anderson, avant de devenir la créature multidisciplinaire qui nous a tant marqués depuis les années 80; l'ensemble s'adapte parfaitement aux structures relativement simples et aux textures complexes imaginées par la compositrice.

Voilà la énième illustration de sa pérennité, de sa vision, de son intelligence, de son adaptabilité au présent technologique, de son hypersensibilité, bref de son talent exceptionnel.

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Landfall. Laurie Anderson et le Kronos Quartet. Nonesuch.