Charlotte Gainsbourg est une artiste qui a su faire un personnage de sa personne, au-delà d'un patrimoine familial aussi lourd que mythique. D'abord actrice, elle n'a jamais sectionné le fil conducteur paternel, éminemment musical, cela remonte à la lointaine époque d'un titre controversé, Lemon Incest/Inceste de citron, où sa voix de nymphette venait chatouiller celle d'un père éminemment provocateur au-delà de son génie mal assumé.

En voici une autre illustration.

Aujourd'hui âgée de 46 ans, Charlotte n'a fait que cinq albums en trois décennies. Elle a néanmoins su s'adjoindre des collaborateurs chics et de bon goût: Air, Jarvis Cocker, Connan Mockasin, Beck Hansen.

OEuvrant de concert avec SebastiAn (DJ et producteur français, connu entre autres pour ses enregistrements sous étiquette Ed Banger), elle fait cette fois dans la pop synthétique. Pour les fans de la star, le choix est audacieux. Quant aux férus de synthwave, synthpop, indie pop à tendance beckienne (écoutez Sylvia Says, ça ne ment pas !), ils observeront que les propositions musicales ne transcendent rien, quoiqu'elles soient parfaitement intégrées à l'artiste qui les porte.

La séduction et le buzz médiatique semblent plutôt tenir à l'idée qu'on se fait d'une Charlotte encore dans le coup à 46 ans, cohérente avec sa lignée familiale, en phase avec les esthétiques de sa génération, tributaire d'une longue tradition de chanson française, mais aussi d'un patrimoine électro qui s'allonge jusqu'à la disco de Giorgio Moroder (magnifiée encore récemment par Daft Punk, comme on le sait), jusqu'aux bandes originales des années 60 et 70 (Wendy Carlos pour The Shining, entre autres) ou même jusqu'à sir Paul McCartney dont elle interprète ici Songbird in a Cage.

Ainsi, la facture de Rest s'avère léchée, raffinée, circonspecte et... archiréférentielle.

La singularité repose plutôt sur la voix diaphane de Charlotte, non sans rappeler l'organe maternel dans certains passages, et aussi sur une écriture bilingue, à l'image de sa culture véritable.

Le thème central de Rest est la perte, particulièrement celle de sa demi-soeur, Kate Barry, fille de Jane Birkin et du défunt compositeur britannique John Barry - en décembre 2013, elle avait succombé à une chute de son appartement parisien, destinée funeste aux allures de suicide. Mis en rimes, ce deuil de Charlotte ainsi que le rappel d'un ultime adieu au père (Lying With You) sont exprimés plus ouvertement que jamais.

En fait, l'opposition entre les ambiances assumées du propos et le chatoiement de la facture musicale constituent l'épine dorsale de cet album réussi. Pendant que les disparus reposent en paix...

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SYNTHWAVE, CHANSON. Rest. Charlotte Gainsbourg. Because Music/Warner.