À l'instar de Klô Pelgag et d'Antoine Corriveau, Philippe Brach s'est construit une arche orchestrale pendant que dure un déluge... dont on ne connaît vraiment pas la destinée. À bord du vaisseau se confondent humains et animaux, bardassés par l'adversité planétaire.

L'exercice était ambitieux, financièrement coûteux, très audacieux dans le contexte d'une production indépendante qui ne fait pas ses frais, en cette époque trouble pour les oeuvres de l'esprit.

Brillamment, Le silence des troupeaux évoque une séquence pour le moins inquiétante de l'histoire humaine. La trame de cet opus peut être perçue comme étant le récit d'un sombre passé, d'un temps présent pas très jojo ou s'inscrivant au lendemain de l'apocalypse. Les chansons de Philippe Brach s'y juxtaposent au récit glacial et sibérien de Julien Lavoie - les mots de chacun se complètent dans un même livret intitulé «Lettres du Frère Hurlant».

Dans La fin du monde, «Le calme a pris la place du froid / La mer a marché sur les toits / Si les anges ont rendu l'âme / Si les murs s'effondrent à même l'espoir / Si le soleil parle pour la dernière fois / Je veux crever dans tes bras...»

Dans La peur est avalanche, Brach dépeint un tissu social enclin à la paranoïa et aux préjugés hallucinés de la civilisation post-factuelle: «Il n'y a pas de Dieu / Que des fous peureux et solitaires / Qui s'adonnent à faire des enfants...»

Dans Mes mains blanches, le parolier dresse une liste de bassesses humaines «Mes mains blanches / Se croisent les doigts pour l'arrogance...»

Dans Pakistan, un homme va rejoindre aux antipodes une femme voilée - l'occasion est belle de réfléchir à ses ruptures avec le fondamentalisme religieux.

Dans Rebound, le narrateur fraîchement largué par sa bien-aimée se lance dans une cavalcade de séduction, question d'oublier... provisoirement. Rebound, il va sans dire.

Dans Tu voulais des enfants, le narrateur épilogue sur le désir de procréation et d'un avenir absurde au crépuscule de l'humanité.

Dans La guerre (expliquée aux adultes), l'explication est fournie par... les enfants! «Qui plante la haine / Cultive un jardin de honte»...

Dans Joyeux anniversaire, on conclut, et ce n'est pas particulièrement joyeux... «une loupe sur ma douleur / un burin sur mon malheur»...

Ce vaste navire a été construit autour d'un groupe d'allégeances folk-rock-blues que forment Philippe Brach (guitares, claviers, réalisation), Jesse Mac Cormack (guitares, autoharp, coréalisation), Pierre-Olivier Gagnon (basse) et Marc-André «Le Mal» Larocque (batterie). L'arrangeur Gabriel «La Contreverse» Desjardins en a ensuite créé moult arrangements: section d'anches et de cuivres, choeur d'adultes et d'enfants (Ensemble Kô et l'École des jeunes de l'UdeM, tous deux sous la direction de Tiphaine Legrand), orchestre carrément symphonique (de l'Agora, dirigé par le jeune maestro Nicolas Ellis).

Un opus de grande qualité

De facture contemporaine, moderne ou néoclassique (évocations variées, de Gershwin à Stravinski), ce faste orchestral et choral contribue à faire de ce Silence des troupeaux une des réalisations les plus importantes de la chanson québécoise francophone en 2017.

Si Philippe Brach n'est pas un réformateur de la forme, s'il ne se trouve pas à la fine pointe de ce qu'offrent les musiques les plus visionnaires de la pop culture d'aujourd'hui, il réussit ici un opus de grande qualité tout en faisant preuve de capacités littéraires nettement au-dessus de notre moyenne chansonnière.

* * * *

CHANSON. Le silence des troupeaux. Philippe Brach. Spectra Musique.

Image fournie par Spectra Musique

Le silence des troupeaux, de Philippe Brach