Pierre Lapointe se penche ici sur ce qu'il nomme «la science du coeur». Dans ce nouvel album studio, il pose un regard lucide sur l'amour entre les êtres, regard parfois glacial par son réalisme et sa propension analytique, parfois désarmant et limpide par son honnêteté émotionnelle.

L'artiste québécois nous propose ici une cardiologie de la beauté, explorant le moteur de nos émotions et pulsions les plus intimes, moteur qui fut longtemps associé au muscle cardiaque avant que la science désamorce pour de bon cette perception et en conserve le sens figuré.

Dans une langue châtiée comme il la défend depuis ses débuts discographiques en 2004, Pierre Lapointe poursuit sa route. Il continue ainsi à se mesurer à la francophonie internationale et réitère le risque de s'aliéner une part des francophones d'Amérique qui ne s'identifient pas à cette langue internationale.

C'était courant jusqu'au début des années 60. C'était charmant et théâtral à l'époque de ses premiers albums, apparus quatre décennies après le déclin marqué du français normatif au Québec. Qu'en est-il en 2017? Ni québécoise ni vraiment hexagonale, cette façon d'écrire peut donner l'impression qu'il boude ses origines locales - les mauvaises langues la confinent même au colombarium des approches révolues.

Son angle d'attaque demeure néanmoins justifié, car l'asepsie apparente de son verbe fait contraste avec la profondeur de sa pensée et l'envergure de sa poésie. Sans conteste, il demeure un très bon auteur de chansons.

Idem pour son approche musicale. Le travail accompli de concert avec David François Moreau (arrangeur et réalisateur de cet opus, sans compter quelques collaborations à la composition), Félix Dyotte et Daniel Bélanger (impliqués dans la confection d'une chanson chacun) s'inscrit dans les tendances connues du néo-classicisme et du post-minimalisme, sans compter quelques hybridations plus populaires.

Le faste des orchestrations (cordes, bois, anches, percussions, guitares, choeurs, etc.) et les emprunts stylistiques se veulent des prolongements de la chanson française classique; on pense à celle des années 50-60 dont les références étaient beaucoup plus romantiques que contemporaines. Un demi-siècle plus tard, un nombre très restreint d'artistes de la francophonie s'appliquent à actualiser cette facture.

«Autour de nous les amours se pendent mais le nôtre renaît de ses cendres», dit la chanson. L'image est aussi valable pour la manière artistique d'exprimer cette observation. Nous sommes ici dans un univers à la fois actuel et consonant, somme toute assez conforme aux tendances dominantes en musique orchestrale d'aujourd'hui.

La singularité de l'approche tient davantage ici au choix de ces musiques de chambre et ces quelques croisements avec la musique populaire - vaguement disco dans Alphabet, vaguement bossa nova dans Mon prince charmant, pour ne citer que ces exemples.

Bref, cette quête de beauté demeure aussi classique que rarissime de ce côté-ci de l'Atlantique. Autant de raisons et de ressentis pour conclure à un travail de haute tenue, pour affirmer de nouveau l'inspiration et le talent pérennes de Pierre Lapointe.

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CHANSON. La science du coeur. Pierre Lapointe. Audiogram.