Les sentiments les plus nets, les plus beaux espoirs, les amours pures et les amitiés pérennes sont d'une grande et permanente fragilité. La vie a tôt fait de polluer, contaminer ou même détruire cet état de grâce des êtres qui s'aiment. Les aléas de l'existence peuvent en ruiner la santé, et plus encore.

Voilà en substance ce que suggère la poésie chansonnière de Benoît Pinette, alias Tire le coyote, tendre poète de l'intimité.

Dans ce troisième album studio qui sera lancé vendredi prochain, le parolier fait preuve d'un effort d'écriture considérable. La langue familière y tente de nombreuses incursions dans le domaine de la littérature, approche que peu d'artistes de la chanson québécoise francophone ont menée très haut au cours des dernières années - on pense spontanément à Stéphane Lafleur.

Les aspirations formelles de Benoît Pinette sont élevées; on observe une fois de plus sa propension à la métaphore soignée, à l'image peinte avec rigueur et inspiration, malgré les encombrements littéraires qu'un travail d'édition aurait normalement dû épurer.

Quoi qu'il en soit, Tire le coyote offre actuellement une des meilleures qualités de texte du corpus québécois francophone. Les 10 chansons au programme de Désherbage feront certes le bonheur de ses adeptes, et plus encore.

Chanson par chanson

Voyons voir de plus près:

La douleur de la perte et les plaies du passé encore ouvertes sont clairement évoquées dans Pouvoirs de glace, où le narrateur souhaite «faire fondre ton absence». Un country folk presque naïf en soutient le propos, la voix de fausset du soliste en accentue l'effet.

La deuxième chanson est précédée d'une séquence ambient et devient progressivement psych folk rock. À la fois spectrale et rurale d'entrée de jeu, elle se raffermit sur son pont, le narrateur se voit alors ragaillardi par la perspective d'un accord amoureux. «Tes bras comme une muraille protègent mon territoire...»

Toit cathédrale est country folk, chanson d'amour où l'être aimé a besoin d'espace. Empathique et inquiet, son partenaire lui suggère alors de devenir son «aire ouverte», son «toit cathédrale».

Le non-sens de la maladie grave, possiblement fatale, est le thème de la quatrième: Le ciel est backorder est le récit d'un noble combat contre un destin qui s'annonce inéluctable. Country, folk, rock, harmonica, claviers et guitares à l'appui.

Comment te dire dépeint la lourdeur d'un passage à vide de l'intimité: «Il est grand le mystère de la foi et des poches d'air.» Ainsi démarre ce récit d'apaisement conjugal en zone de turbulence. On sent le narrateur marcher sur des oeufs: «comment te dire merci sans trouer le silence»...

Autre ballade country-folk, Chanson d'eau douce est une ode (quelque peu laborieuse) à la sagesse émotionnelle: «Quand la peur nous fera sa demande de divorce, quand l'amour enlèvera sa camisole de force...»

Sur un rythme lourdement appuyé et des harmonies virilement déployées, nous voilà au centre de la thématique générale, soit l'inévitable Désherbage de nos jardins d'innocence. Y pousse le chiendent parmi les fleurs odoriférantes, inutile de l'ajouter. Un bon conseil en terminant un épisode éprouvant de la relation humaine: «La peine vient à échéance quand on s'attarde au désherbage.»

Ça reste rock avec Les couleurs de notre équipe, alors que «la pire des débarques devient un rite de passage» et que «le plan d'attaque suggère la patience, malgré les rumeurs d'un abandon». Nécessité de persévérer en amitié, force est de le déduire.

Encore la rock attitude côté Fifille, où sont érigés les paradoxes de l'enfance et de l'adolescence, de ce cap si difficile à maintenir vers l'âge adulte. «Derrière les devantures, les ouragans s'activent...»

Jeu vidéo, étonnante adaptation de la chanson Video Games signée Lana Del Rey, conclut cet opus. Le couple y traverse un moment d'allégresse: «tu fais buzzer mon oeil magique à chacun de tes mouvements», rien de moins. Sur une cadence psych folk bien envoyée, le sens de l'amour est retrouvé.

Provisoirement, il va sans dire.

* * * 1/2

KEB AMERICANA. Désherbage. Tire le coyote. La Tribu.