Narcissique devant l'Éternel, aux limites de la bipolarité, le néanmoins surdoué Kanye West est-il à la hauteur de ses prétentions dans ce nouveau cycle de création?

Cette folie (assumée) des grandeurs s'illustrait jeudi par le lancement surdimensionné de l'album The Life of Pablo, soit dans un Madison Square Garden peuplé de centaines de figurants arborant les fringues de sa dernière collection.

Via la plateforme Tidal, non sans heurts, les premières écoutes de ce septième album solo dévoilé devant public n'ont pas mené à crier au génie. La confusion menant à la mise en ligne tardive d'une version allongée sur cette plateforme que possède le rapper Jay Z (ami proche de KW), soit trois jours plus tard, se poursuit aux dernières nouvelles par un étonnant gazouillis signé Kanye West et relayé en ligne par le magazine Billboard: «Mon album ne sera jamais sur Apple. Et ne sera jamais mis en vente. Vous ne pouvez y accéder que sur Tidal.»

Vraiment?!!

Apple et Tidal ont refusé de commenter ce gazouillis à la demande de Billboard. Le magazine ajoute que les sources ne sont pas claires concernant la stratégie de mise en circulation de cet opus maintenant constitué de 16 chansons et deux cours intermèdes. Quoi qu'il en soit, cette version allongée de The Life of Pablo n'en altère pas vraiment la perception initiale.

Pour l'instant, on garde l'impression d'un chantier pharaonique, l'oeuvre inachevée d'une mégastar scrutant l'environnement et les sources de sa pratique. Et qui se regarde briller, il va sans dire.

À quel Pablo fait-il donc allusion? Picasso? Escobar? Saint Paul? Au créateur? Au délinquant? À l'apôtre de Yeezus? À lui-même? Toutes ces réponses? Dans nos bottes, des montagnes de questions, chanterait feu Bashung.

Autocontemplation, autoproclamation, autojustification sont assurément au menu: «Name one genius that ain't crazy», suggère le trop modeste Kanye dans Freesyle4. Dieu, le bien, le mal, l'ascension au paradis, les prédateurs malveillants, la célébrité sont au nombre des thèmes abordés. On a aussi droit à quelques provocations qui feront certes jaser dans les chaumières, genre «... I feel like me and Taylor might still have sex, well I made that bitch famous»... On sait ce qu'en a dit Miss Swift aux Grammys!

Kanye y atteint tout de même des cimes d'inspiration, notamment sur la première chanson au programme: Ultralight Beams est un superbe amalgame de hip hop, soul et gospel, impliquant The Dream, Kelly Price et Chance The Rapper. L'intervention de Rihanna dans Famous est aussi justifiée. Dans Wolves, les entrelacements mélodiques de Caroline Shaw et de Frank Ocean avec Kanye sont très réussis, idem pour les échanges avec The Weeknd dans FML. On ne peut qu'applaudir l'apparition surprise de Kendrick Lamar dans la pièce No More Parties in LA, une des plus réussies de cet album touffu, hirsute par moments.

Bricolés entre autres par Kanye West, Metro Boomin, Swiss Beatz, Madlib, Cashmere Cat, Boi 1da, les beats sont généralement solides mais... pas aussi visionnaires qu'on l'a constaté dans ses trois opus précédents. Le problème de cet album réside surtout dans son montage final: impressions récurrentes d'une suite d'interruptions, de tableaux bizarrement enchaînés. La vie de Pablo, aussi géniale soit cette incarnation, peut devenir aussi un embrouillamini...

* * * 1/2

HIP HOP. Kanye West. The Life of Pablo. GOOD Music/Def Jam.