Combien de fois avons-nous entendu des commentateurs rappeler à quel point il était dommage que les humoristes d'aujourd'hui ne s'inspirent pas plus de l'humour tel que le pratiquaient les Cyniques? Eh bien, rien ne vaut l'écoute des volumes 3, 4 et 5 des disques des Cyniques, relancés récemment, pour se rendre compte qu'il n'y a pas tant de différence entre les humoristes d'hier et ceux d'aujourd'hui, à certains égards...

Certes, les sketchs à caractère politique et social des Cyniques sont toujours pertinents - et impertinents - et on entendra ou réentendra avec plaisir les numéros consacrés à l'assurance chômage (même si ça s'appelle désormais l'assurance emploi, rien n'a vraiment changé), Pierre Elliott Trudeau ou la visite à l'Oratoire Saint-Joseph...

Mais il y a aussi des numéros assez ordinaires, qui font rire principalement pour des raisons qui n'ont rien de littéraire ou d'engagé, que ce soit la xénophobie primaire (le sketch Le Juif, volume 3), l'homophobie assez grossière (Batman) et l'emploi de sacres: les Cyniques étaient les premiers à sacrer sur scène, bien avant Les Belles-Soeurs, c'est vrai, mais disons qu' ils ont vraiment beaucoup recouru à ce procédé sur les cinq albums actuellement sur le marché, de 1966 à 1970!

Soulignons aussi que les attaques contre ce qui était à l'époque le «canal 10», regardé par les gens peu scolarisés, sont systématiques jusqu'au malaise. Enfin, le jeu de mots et le calembour faciles ne manquent pas dans L'homme-grenouille, La police et le sexe, Les morts...

C'est intéressant de pouvoir juger sur pièces que les Cyniques, comme les humoristes d'aujourd'hui, ont leurs forces et leurs faiblesses - mais que notre mémoire a choisi d'oublier les faiblesses pour ne retenir que les forces. Nombreuses forces, cela étant dit.

Car ces quelques réserves étant émises, les trois volumes qui viennent de sortir sont jalonnés de petits bijoux (particulièrement le volume 5) et, parce qu'ils font moins référence au clergé que les deux premiers (relancés cet été), ils nécessitent moins d'explications. De leur côté, les parodies de grands airs d'opéra interprétés par Marcel Saint-Germain ont très bien vieilli. Enfin, que ce soit le gag éclair (l'annonce de la montre Timex), le sketch qui fera aussi rire les enfants (le cours d'équitation) ou le numéro vraiment bien ficelé (la bataille des plaines d'Abraham en version bilingue, hallucinante), il y en a pour tous les goûts: autant l'avouer, je me suis roulée à terre en écoutant Nono Mouskouri ou Le recteur Réal Caouette (même si on n'a jamais connu le politicien du Crédit social, on rit pareil). Enfin, un numéro comme la parodie de Cendrillon a valeur anthropologique: on a une nette idée de ce qu'était le «fast food» de l'époque.

Afin de mesurer l'indéniable et incroyable importance des Cyniques dans la société québécoise, on ne saurait trop recommander l'écoute de trois excellentes émissions radio consacrées récemment au quatuor d'humour, toujours offertes sur le site de Radio-Canada sous le titre: Les Cyniques: méchante révolution! (www.radio-canada.ca/emissions/les_cyniques_mechante_revolution).

Les Cyniques

Disques Apex/Universal/DEP

Volume 3 (1967) ***

Volume 4 (1968) ***1/2

Volume 5 (1970) ***1/2