L'AVIS DE NOTRE JOURNALISTE JEAN-CHRISTOPHE LAURENCELe début de la fin

Le monde de la réédition est aussi celui du marketing. On ressort un disque avec fracas, en essayant de nous faire croire qu'il s'agit de la résurrection du siècle. On ajoute deux photos, trois inédits pour mousser l'événement. Et puis, on crie au classique. C'est ce qu'on appelle stimuler artificiellement un vieux fonds de catalogue.

Fallait-il, par exemple, ressortir Exile on Main St. en grande pompe ? Permettez qu'on en doute. Non seulement ne fête-t-on aucun «chiffre rond», mais cet album considéré mythique reste à notre avis l'un des plus surestimés de l'histoire du rock. En ce qui nous concerne, ce fut même là le début de la fin pour les Rolling Stones.

Le collègue Journet - qui s'y connaît bien trop en golf pour être crédible en rock - tentera sûrement de vous vendre le groove, la chaleur et l'ambiance moite de ce disque double sorti en 1972. Mais ne soyez pas dupe! Si quelques morceaux sont à sauver du lot (Tumbling Dice, Turd on the Run, Ventilator Blues, Happy), Exile on Main St. reste un disque brouillon, linéaire, parfois très ordinaire et inutilement long, qui s'étire sur 18 chansons, sans compter la demi-douzaine d'inédits franchement dispensables qui ont été rajoutés à cette nouvelle réédition.

Pour le pire et certainement pas le meilleur, Exile on Main St. est aussi l'album du changement pour les Stones, qui abandonnent définitivement leur côté british afin de devenir un banal groupe de country-blues-rock de saloon pseudo-américain, nourri aux Marlboro et à la Budweiser. Ce ne sera, à partir de là, qu'une descente en roue libre, créativement déplorable malgré quelques bons flashes (Tattoo You, Some Girls), où le band se transformera progressivement en l'increvable usine à fric que l'on connaît aujourd'hui.

Exile on Main Street, exil artistique...

 

L'AVIS DE NOTRE JOURNALISTE PAUL JOURNET

Le joyau enfin poli 

Du rock Budweiser, Exile on Main St.? Vraiment, Jean-Christophe? J'essaie malgré tout de t'expliquer.

Le rock, ce n'est pas seulement un riff ou un roulement de tambour. C'est aussi une idée. Et cette idée, aucun disque ne la symbolise mieux qu'Exile. C'est l'optimisme féroce qui perdure malgré les vicissitudes de la vie. C'est Mick Jagger en miettes sur le pavé, qui défie sa douce (Rocks Off). C'est la métaphore de l'homme-dé (Tumbling Dice) qui continue d'avancer en tentant sa chance, un oeil sur la fille dans le rétroviseur, l'autre sur celle dans sa ligne de mire. C'est le alea jacta est érigé en leitmotiv. Bref, une idée, une émotion et une énergie vitale qui communient ensemble.

Tu as déjà qualifié l'oeuvre de tapisserie sonore. J'y vois la trame sonore des matins laborieux tout comme des grands soirs. Vrai, le disque recèle peu de tubes. On n'est pas happé dès le début par un signal d'alarme à la Gimme Shelter, et on ne reçoit pas de coup de Taser au coeur comme dans Wild Horses. Mais Exile possède une rare unité. Ce qui est bizarre, étant donné les conditions d'enregistrement que l'on connaît - musiciens isolés dans leur manoir/studio/abri fiscal de la Côte d'Azur, pistes enregistrées de façon isolée et nombreux overdubs ajoutés par après.

 

Tristement, Exile ressemblait jusqu'ici à un Picasso qu'on regardait à travers une vitre sale. La réalisation était de type boîte de conserve. Mais le joyau a enfin été poli. Grâce à cette réédition, le son gagne en précision et en netteté sans perdre sa rondeur. En plus, on y trouve huit nouvelles pièces et deux versions inédites.

On peut toutefois déplorer le chiche emballage. Le livret ne contient qu'une poignée de nouvelles photos. Même pas de paroles ou de texte commémoratif. Mais il s'agit à mon avis du seul bémol.

Quant au golf, j'ai Alice Cooper de mon côté...