Maurin Auxéméry est maintenant la personne responsable de la programmation du Festival de jazz et des Francos. Le nouveau « grand manitou », comme plusieurs aiment désigner ce rôle, est animé par une force : sa passion pour la musique, qu’il entretient depuis toujours. La Presse l’a rencontré, à quelques jours du lancement des Francos.

Maurin Auxéméry est l’héritier tout désigné du poste qu’a laissé vacant Laurent Saulnier, celui qu’il appelle son « mentor ». Une longue conversation avec lui, fin mai, aux bureaux de Spectra nous donne un vibrant aperçu de ce que ce rôle de directeur de la programmation des Francos et du Festival de jazz représente pour lui. Les festivals, la musique, le jazz en particulier, Montréal… toutes ces choses sont si nettement ancrées dans l’ADN de Maurin Auxéméry qu’il aurait difficilement pu échapper à son destin.

Car, oui, l’histoire de l’arrivée de Maurin Auxéméry chez Spectra, qui organise les deux évènements, est de celles qui font croire au destin. « Est-ce que je peux être un peu éso ? », nous demande-t-il même avant de raconter ses premiers pas dans cette équipe de programmation qu’il dirige maintenant.

Allons-y donc pour une touche d’ésotérisme. Début vingtaine, alors qu’il était stagiaire pour une entreprise de logiciels de gestion d’archivage pour les musées, en France, il était celui de l’équipe qui allait chercher des disques de jazz à la Fnac (l’équivalent du HMV) pendant l’heure du midi pour faire découvrir de la musique à ses collègues. « C’est à cette époque que je me suis dit que c’était ce que je voulais faire », raconte-t-il.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Maurin Auxéméry

J’avais 22 ans et j’ai dit que j’aimerais être le directeur artistique d’un festival. Je l’ai mis dans l’univers. Dix ans plus tard, en 2013, je suis arrivé chez Spectra.

Maurin Auxéméry

Cela faisait plus longtemps encore, depuis les années 1980, que se préparait ce moment. Maurin Auxéméry est originaire de la ville de Marciac, petite commune de Gascogne, dans le sud-ouest de la France. Là-bas se déroule le festival Jazz in Marciac, un évènement musical qui anime les étés dans la ville depuis maintenant 45 ans et que le jeune Maurin a fréquenté chaque été en grandissant.

Quand il était âgé d’environ 10 ans, son père l’a fait entrer en catimini sous la tente où jouait le grand trompettiste Wynton Marsalis pour qu’il puisse assister au spectacle. « Il y avait plein de trompettes sur scène, un gros ensemble, se souvient-il, un sourire aux lèvres, comme s’il racontait cette histoire pour la première fois. Il avait invité ce jeune trompettiste, maintenant décédé, qui s’appelait Roy Hargrove. Sur scène, ça va dans tous les sens, il y a des solos, ils ont de l’attitude, ils ont de la classe. Et je me retourne vers mon père pour lui dire que c’est pas si mal, sa musique, tout compte fait. »

La rencontre d’une vie

Après « un hiatus Bob Marley » à l’adolescence où il n’écoutait que sa musique, Maurin se replonge dans le jazz, ainsi que dans le hip-hop. De fil en aiguille, son cursus dans une école de commerce en France le mène à un stage au label de jazz montréalais Effendi, lors d’un voyage dans la métropole qu’il imaginait temporaire et qui dure finalement depuis 17 ans. Ici, il se met à programmer des concerts, se fait un nom dans le milieu.

Et puis, quelques années après s’être installé à Montréal, une rencontre change sa vie (avertissement : on retombe ici dans l’ésotérique et les choses du destin).

« C’était le matin, le jour du lancement des Francos, se rappelle Maurin. J’étais encore agent de programmation, je vendais des shows. Je parlais avec une collègue et on se disait que ça pouvait être difficile avec les diffuseurs, qu’on aimerait être programmateurs. Et je lui ai dit : “Moi, si le Festival de jazz m’appelle, je dis oui directement.” »

De nouveau, il a lancé son rêve dans l’univers. Vous vous doutez de la suite… Le soir même, durant le traditionnel cocktail d’ouverture des Francos, la directrice de la programmation du festival à l’époque, Caroline Johnson, lui demande de lui parler en privé quelques minutes. Et elle lui offre une place dans son équipe de programmation. « C’était il y a presque 10 ans. J’imagine que j’étais prédestiné à en arriver là. »

Amener les festivals de l’avant

Le jeune quarantenaire, en 10 ans, en a fait, du chemin, et a pris de l’expérience, entouré d’une équipe majoritairement féminine qui lui a donné des conseils, lui a fait comprendre les subtilités de leur travail.

Maintenant, c’est lui qui occupe le poste que Laurent Saulnier et Caroline Johnson ont occupé. « Je dois faire une espèce de recentrage. J’étais très Festival de jazz, et d’autres collègues, plus concentrés sur les Francos, même si j’ai toujours participé aux décisions pour l’ensemble. Avec le départ de Laurent, il a fallu que je réouvre un peu plus mes oreilles. Je suis encore dans ce processus-là, il y a plein de choses que je découvre dans la programmation grâce à mes super collègues Isabelle Ouimet, Camille Guiton et Valérie Morel. »

Dans l’équipe, mais encore plus en tant que programmateur en chef, il faut réfléchir à toutes sortes de détails. Notamment aux multiples diversités que l’on s’attend à voir sur une affiche de grand festival.

« J’ai beaucoup changé en 10 ans. [En tant qu’organisateur de festivals], on se pose des questions qu’on se posait moins avant », évoque Maurin.

Il y a quelque chose de désormais fondamental dans la façon dont on construit notre programmation. Il y a l’équilibre hommes-femmes. On veut ressentir différentes communautés. On veut que la diversité soit dans le public tout comme sur la scène, donc il faut offrir des artistes qui vont permettre ça.

Maurin Auxéméry

Au Jazz, « c’est la musique afro-américaine qu’on promeut », dit Maurin Auxéméry. « On parle de blues, on parle de funk, on parle de soul, de R&B. Le jazz débouche sur tout ça. Comment ne pas arriver à faire cette place aux artistes de ces communautés ? »

Et puis, il y a les Francos. On trouve de nombreuses femmes et plusieurs représentants de diverses communautés au programme, mais il suffit de regarder les têtes d’affiche pour voir qu’il reste du chemin à faire. « La diversité a plus de mal à se déployer aux Francos. Même s’il y a une vraie réflexion là-dessus. On en est conscients, on essaie de poser des actions. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Les programmateurs Maurin Auxéméry et Laurent Saulnier

Comme un paquebot

Ce changement de garde aux Francos et au Jazz est-il synonyme d’une ère radicalement nouvelle ? Il ne le croit pas. Laurent Saulnier a posé de solides piliers, sur lesquels Maurin Auxéméry compte continuer de bâtir. « Tous les jours, on essaie d’amener de nouvelles idées », dit-il.

« L’image que j’ai, c’est celle d’un paquebot. Si on doit tourner à gauche, ça ne se fait pas d’un coup, ça prend du temps pour le faire tourner. Je n’arrive pas à ce poste en me disant que je vais tout révolutionner, tout changer. Évidemment, les couleurs de nos programmations vont être sensiblement différentes, mais on travaille avec une industrie qui est vivante et qui détermine les choses elle aussi. On va développer des projets dans les prochaines années, des petites choses qu’on met en place pour ajouter une dimension différente. »

La gratuité est l’un des moteurs du festival, ce qui le rend attrayant à un si large public, mais aussi ce qui le rend difficile à rentabiliser. Ce sera probablement là l’un des grands défis de l’ère Maurin Auxéméry. « J’espère que ce modèle sera possible, parce que je le trouve magnifique, lance-t-il aujourd’hui dans l’univers. Ça fait partie des avantages de ces deux festivals, qui sont des moteurs culturels. La culture, c’est une question d’élévation, une question d’apprentissage et une question d’ouverture sur l’art. C’est ce que font le Festival de jazz et les Francos. »

Les Francos se tiendront du 9 au 17 juin.

Consultez le site des Francos

Le Festival international de jazz de Montréal se tiendra du 29 juin au 8 juillet 2023.

Consultez le site du Festival de jazz