Rien n’est pareil, mais il est le même. Après de grands changements dans sa vie, Philippe B en est arrivé à ce constat, qui teinte la création de son nouvel album, Nouvelle administration. Discussion avec un homme changé, qui reste celui qu’il a toujours été.

« Ce que je voulais, surtout, c’était de voir si j’étais encore capable d’écrire des chansons. » C’est en ces mots que Philippe B retrace la genèse de l’album Nouvelle administration. Au Tabac Villeray, où nous le rencontrons un chaud matin de mai, l’auteur-compositeur-interprète est franc : il n’était pas question, pour ce disque, de tenter des prouesses. Il lui fallait seulement voir si la capacité de composer des morceaux, les mêmes qu’avant, existait encore en lui.

Pour comprendre comment le brillant auteur-compositeur-interprète, après cinq albums, s’est retrouvé à douter pouvoir écrire, il faut revenir en arrière. Il s’est écoulé six ans depuis ce cinquième album, La grande nuit vidéo, paru en 2017. Entre-temps, il s’est passé bien des choses dans la vie de Philippe B. Un enfant, un déménagement et, bien sûr, la pandémie. Pour lui, cette crise mondiale a notamment prolongé une pause qu’il venait déjà de s’accorder.

« Au départ, ça a été un arrêt volontaire de paternité, à partir de la grossesse. On s’était créé une bulle… qui a tout de suite été suivie par la bulle sanitaire [en raison de la COVID-19]. Ça faisait un an qu’on était à la maison. » Dans ce contexte où « on était prêts à recommencer à sortir, mais on ne pouvait pas », l’auteur-compositeur-interprète est donc resté dans sa bulle et s’est plutôt remis à créer.

Je travaille toujours de la maison, j’ai toutes mes affaires, même pour l’enregistrement. Je n’ai jamais eu comme habitude d’aller travailler ailleurs. Cette fois, il y avait le bébé. Je n’avais pas le même espace mental ni le temps d’être tout seul dans ma tête. Alors, avec cette vie différente, je me suis demandé si je pouvais encore. Le processus, c’était de retrouver ça.

Philippe B

Dans son nouveau rythme, l’artiste a composé des chansons tout en se disant que de meilleures circonstances viendraient bientôt, lui permettant de mieux s’atteler à la tâche.

Mais avec le recul, Philippe B n’a pas l’impression d’avoir eu de meilleurs résultats une fois sa fille à la garderie et son temps un peu plus dégagé. « Avec un rythme un peu plus normal, j’ai travaillé plus rapidement, j’ai réussi à faire plus de chansons, à terminer les affaires que j’avais entamées, dit-il. Mais finalement, les idées, les vrais flashs, les éléments clés, c’est ce que j’avais fait dans des conditions qui étaient loin d’être idéales. Quand je devais trouver des brèches pour travailler, les chansons étaient plus intuitives et même si je n’avais pas toujours le temps de reprendre le lendemain ce que j’avais commencé, si je trouvais un peu de temps pour persévérer, c’était parce que ça valait la peine. »

Ainsi, le matériel initial est « aussi bon, sinon meilleur » que ce qu’il a fait ensuite, mais lui rappelle surtout ce qu’il a pu créer dans ces circonstances inédites. « J’avais des enregistrements sur mon téléphone, quelques mots ou du piano et, souvent, tu entends que ça crie en arrière et ça s’arrête », se remémore-t-il en souriant.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La paternité de Philippe B a été un élément majeur autour de la construction de son nouvel album.

« Pareil, pas pareil »

Évidemment, les changements dans sa vie ont inspiré les mots de Philippe B. « Parce que je fais dans l’autofiction, j’allais puiser là, mais j’avais une certaine appréhension de trouver la bonne manière de le faire, explique-t-il. Je me disais que ce serait difficile d’éviter ce thème [de la paternité], mais en même temps, il fallait que ça ne soit pas trop fleur bleue, que ce soit intéressant pour celui qui n’a pas d’enfant. C’est toujours le défi d’écrire des chansons : de trouver des angles, des perspectives particulières, une mécanique poétique pour en parler de façon intéressante. »

Nouvelle administration, de Philippe B

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Au moment de finir ses chansons, il déménage avec sa famille à l’extérieur de Montréal, où il avait vécu les 30 années précédentes de sa vie (et où il est finalement revenu vivre après 2 ans). Le produit final de ses mois de création, teinté de tous ces bouleversements, la plupart positifs, s’intitule Nouvelle administration. Un titre qui fait référence à ces restaurants qui changent de propriétaire, mais restent les mêmes, du menu à la décoration. « Tout a changé, tout est pareil », chante-t-il sur la pièce-titre.

« À partir de [la chanson-titre], je me suis rendu compte qu’il y avait une thématique, un concept, explique-t-il. Même si j’écris une chanson à la guitare avec le genre de poésie que je faisais avant, ça peut paraître la même chose, mais fondamentalement, c’est complètement autre chose. C’est comme si quelqu’un écrivait des pièces de théâtre avec deux personnages toute sa vie et finalement, se mettait à écrire des pièces à trois personnages. Il y a un axe fondamental qui est différent, un changement de base. Quand je parlais de ma vie, je parlais souvent à ma blonde. »

Là, je parle parfois à ma blonde et parfois à mon enfant. Ça, ça change. Mais moi, même si je change, je suis pareil. Ce que je fais ressemble finalement pas mal à ce que je faisais avant.

Philippe B

Pas de pression de se « réinventer » pour Philippe B. Il a pu écrire un nouvel album, dont il est fier, et c’est déjà très bien. Il s’est tourné vers ses « classiques », y allant à fond dans la chanson, tout en y apposant des arrangements de haut calibre. Il y joue de la plupart des instruments, il a fait l’échantillonnage (un de ses procédés fétiches), il l’a enregistré et l’a mixé.

Maintenant qu’il sait qu’il peut encore créer, Philippe B n’attend plus que de « reprendre là où [il] s’était arrêté ». « Je n’ai pas l’idée de conquérir de nouveaux territoires. Je veux reprendre la relation avec le public là où on l’avait laissée. J’aime la place où j’étais, le genre de salles où je jouais. Même si, bien sûr, j’espère que [l’album] va rejoindre le plus de monde possible. »

Philippe B sera en spectacle à Montréal le 10 juin, au Studio TD.