Une demande « légitime » exigeant un quota de 5 % pour la musique autochtone à la radio a été déposée auprès du CRTC

Évoquant une nouvelle « cohabitation culturelle » et une autre forme de réconciliation, les musiciens Florent Vollant et Mathieu Mckenzie (Maten) ont dévoilé mardi un mémoire demandant au CRTC d’imposer un quota de 5 % de musique autochtone aux radios commerciales canadiennes. Les chefs Ghislain Picard, de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, et Mike Mckenzie, d’Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam, étaient à leurs côtés pour appuyer cette demande.

« On ne nous entend pas assez. Actuellement, les diffuseurs n’ont aucune obligation de nous faire jouer, a rappelé Mathieu Mckenzie, précisant que seules les chaînes liées à Radio-Canada faisaient tourner de la musique autochtone au Québec. L’imposition d’un quota est la seule façon d’assurer un minimum, une présence de la musique autochtone sur les ondes des radios commerciales. »

La demande qualifiée de « légitime » par Florent Vollant vise à rompre un silence qui dure depuis plus de 30 ans. En 1989, Claude Mckenzie et lui ont connu un succès phénoménal avec le premier album de Kasthin et leur chanson E Uassiuian, qui tournait partout au Québec. Cet élan s’est brisé net au moment de la crise d’Oka, en 1990, a rappelé Mathieu Mckenzie, qui est le fils de Florent Vollant. Aucun autre artiste autochtone n’a connu un tel rayonnement depuis.

Le rappeur Samian trouve pour le moins « ironique » que Florent Vollant doive encore mener ce combat, 30 ans après le succès de Kasthin, mais dit aussi trouver cet engagement très beau. Il juge lui aussi légitime de demander un quota au CRTC, car il a lui-même constaté que si les radios ont fait tourner un morceau où il chantait en français avec Loco Locass il y a 15 ans, la porte s’était refermée lorsqu’il a présenté Les nomades, un duo avec Shauit, en raison des passages en innu et en anishinaabemowin.

Or, la curiosité est là, selon le regroupement qui a préparé le mémoire. Une consultation menée en septembre 2022 auprès de répondants autochtones et allochtones indique que 95 % d’entre eux estimaient que la musique autochtone n’occupait pas assez de place sur les ondes commerciales et qu’un quota était nécessaire. Près de 82 % se disaient aussi d’accord avec les 5 % de temps d’antenne réclamés par les représentants autochtones.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Mike Mckenzie, Mathieu Mckenzie, Florent Vollant et Ghislain Picard

Un appui sans équivoque

Ces chiffres démontrent un appui « sans équivoque » de la population, selon le chef Ghislain Picard, qui estime que la musique constitue un important outil de rapprochement. « On parle beaucoup de réconciliation et on devrait parler aussi de réconciliation musicale, a également convenu le chef Mike Mckenzie, de la communauté innue d’Uashat Mani-utenam. Les paroles, aussi belles et sincères soient-elles, ne peuvent jamais remplacer les gestes concrets. »

La musique autochtone a sa place dans l’univers hermétique des radios commerciales. Elle n’est pas une menace pour la musique francophone et encore moins pour la musique anglophone.

Mike Mckenzie, chef d’Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam

Mathieu Mckenzie, de l’étiquette Makushan Musique, vouée aux artistes autochtones, précise que le quota de 5 % de musique autochtone demandé doit être interprété avec ouverture d’esprit. « On ne défend pas juste ceux qui chantent dans les langues autochtones. Il ne faut pas oublier que, dans l’Ouest canadien, il y a des communautés qui ont perdu leur langue. Ce qui leur reste, c’est de chanter en anglais », dit-il.

« On ne fait pas de division, on est assez divisés comme ça. Les artistes autochtones qui chantent en anglais, en français ou dans leur langue, on les défend, insiste le musicien et producteur de disques, parce qu’on revient de loin. »

Émile Bilodeau, artiste ami et allié de la cause autochtone, a fait une allocution aussi brève qu’émotive au dévoilement du mémoire. « Au Québec, on se fait dire qu’on a été colonisés et qu’on doit défendre notre langue, a-t-il souligné. Il y a 11 langues autochtones sur le territoire du Québec qui sont sous respirateur artificiel et il y a quand même des gens qui pensent qu’en donnant un peu de place à nos frères autochtones, on n’arrivera pas à sauver le français ! »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Émile Bilodeau

L’enjeu du quota de musique autochtone sur les ondes radio dépasse largement l’effet positif qu’il pourrait avoir sur les artistes et leur carrière, souligne d’ailleurs Mathieu Mckenzie. « L’impact ne serait pas juste sur la musique, il serait sur la fierté autochtone. Quand les autochtones entendent un Scott-Pien Picard à la radio à Québec, ils sont fiers. On a tellement voulu nous éteindre au cours de l’histoire qu’on a besoin d’être reconnus. On revient de loin », rappelle-t-il.

Nos enfants ont du mal à être fiers. Ils sont timides, ils ont la tête basse. La musique va les aider à redevenir fiers.

Mathieu Mckenzie

Le CRTC a confirmé à La Presse la réception du mémoire. « Nous avons avisé les rédacteurs et les représentants que pour être considéré par le CRTC, ce mémoire doit nous être présenté dans le cadre d’un processus de consultation. Nous aborderons notamment ces enjeux dans des consultations à venir reliées au projet de loi C-11 (si le projet de loi reçoit la sanction royale) et à l’élaboration conjointe de la politique de radiodiffusion autochtone », a ajouté le service des communications de l’organisme.