Rachel Leblanc a beaucoup voyagé durant la pandémie. Beaucoup voyagé dans les contrées lumineuses des souvenirs de son enfance. La clairière, sublime deuxième album de Vanille, est le carnet de bord de ses enchanteresses pérégrinations.

Souvenir d’un soir de janvier 2021. À la porte, une jeune femme terrée sous un épais chapeau, venue déposer chez l’auteur de ces lignes l’exemplaire qu’il s’était procuré de Soleil ’96, son premier album. « C’était une journée de tempête incroyable », se remémorait récemment Rachel Leblanc, alors qu’elle s’apprêtait à revivre pareil exercice et à livrer elle-même, en main propre (mais gantée), son deuxième long-jeu.

J’avais bravé le vent et la neige pour aller porter mes disques ! J’arrivais tout emmitouflée et les gens me disaient des choses comme : ‟Ah, c’est toi, Vanille ! T’es plus petite que je pensais.” C’était vraiment le fun, et un peu bizarre, de pouvoir voir du monde.

Rachel Leblanc

Ce rare moment d’humanité partagée aura ironiquement incarné, malgré le temps qu’il faisait, quelque chose comme une éclaircie dans le quotidien de Rachel Leblanc, 26 ans. L’ancienne étudiante en cinéma éblouissait les mélomanes, début 2021, avec son premier album, une tranche d’ensorcelant rock garage en français – imaginez que Françoise Hardy ait chanté pour les Troggs – qui s’était hissé parmi les plus fabuleuses surprises de l’année.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Rachel Leblanc, alias Vanille

Une année autrement sombre pour tous, pour des raisons avec lesquelles il est inutile de vous rebattre les oreilles, y compris pour Rachel, confinée à son sous-sol montréalais, avec une guitare acoustique, plutôt que l’électrique d’où avaient jusque-là émergé ses chansons d’amour allègre ou contrarié. Solution : s’évader dans les souvenirs champêtres de son enfance et de ces forêts dans lesquelles elle s’amusait à attraper des grenouilles, lorsque ses parents lui offraient la joie de quitter leur Laval pour le week-end.

Me plonger dans ces souvenirs, ç’a été une des plus belles façons que j’ai trouvées de chasser l’anxiété. Parler de nature, d’espaces grandioses, aux antipodes de là où je me trouvais, c’était comme me créer un havre de paix, à l’intérieur de moi. J’avais envie d’un album qui me réconforterait.

Rachel Leblanc

Vivre plus librement

« Je sens sous le rocher des millénaires d’existence/Et dans mon cœur c’est une fête », chante Rachel Leblanc de son irrésistible voix claire dans Par-delà les monts, une des pièces les plus pastorales de La clairière, dans laquelle l’auditeur est accueilli par des pépiements d’oiseau.

Écoutez la chanson Par-delà les monts sur Bandcamp

« C’est une des phrases les plus importantes, parce que c’est un album sur lequel je suis très consciente de ce qu’il y a eu avant, et de ce qu’il y aura après, dans l’univers », explique l’autrice et compositrice à l’oreille érudite, qui travaille derrière le comptoir du Vacarme, un disquaire de référence de la Plaza Saint-Hubert, à Montréal. Le folk britannique de la fin des années 1960 (Vashti Bunyan, Duncan Browne, Bridget St John), avec ses nombreux emprunts au Moyen Âge, ainsi qu’un livre d’enluminures gothiques auront été pour elle d’importantes références.

Rachel confie au passage, avec un grand sourire, avoir été inspirée par une autre sorte de voyage, celui que permettent certains types de champignons. « Lors d’une de ces petites expériences que j’ai faites, je me souviens d’avoir littéralement senti les millénaires d’existence sous le rocher où j’étais. »

Angoissante sensation ? « Non, s’exclame-t-elle, au contraire ! Ça enlève de la lourdeur à chacune des décisions qu’on prend dans la vie. Savoir qu’on n’est qu’un point dans l’univers, ça permet de vivre plus librement. »

S’aimer soi-même

Riche d’une abondance de tambourines, de lignes de flûte et de tintillements de triangle, La clairière pourrait sonner comme l’album d’un retour à l’enfance, ce qui n’est vrai que dans la mesure où Rachel Leblanc n’y renoue pas avec une quelconque forme de naïveté, mais bien avec cette sorte de gravité douce et farouche, propre au jeune âge.

Alors que Soleil ’96 avait pour pôle magnétique le genre opposé, La clairière entremêle dans de jolies métaphores amour de la nature et amour-propre, heureuse conséquence chez Vanille du profond travail de connaissance et d’acceptation de soi que lui permet l’écriture de chansons, dit-elle.

Elle en cosigne d’ailleurs la réalisation avec le très sollicité Alexandre Martel (Lou-Adriane Cassidy, Thierry Larose, Alex Burger), qui semble avoir embrassé pleinement son rôle d’allié ; les marques distinctives de son son, souvent imprégné de l’influence du Los Angeles des années 1970, étant ici absentes.

« Le ciel est désormais/mon unique amant », annonce Rachel dans la très solennelle La rose, une déclaration d’indépendance camouflée sous un serment d’allégeance à la beauté du monde.

Écoutez la chanson La rose sur Bandcamp

« Avant, je parlais beaucoup, beaucoup, beaucoup d’amour », admet-elle en riant. « Je parlais beaucoup de peine d’amour, en fait, et j’avais envie d’autre chose. Là, il n’y en a plus, de gars. Ce qu’il y a, c’est moi qui n’ai plus honte de dire qu’une des choses qui me rendent le plus heureuse dans la vie, ce sont les moments que je passe seule. »

La clairière

Folk psychédélique

La clairière

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