Trash mais précieux, pop mais marginal, le chanteur Ivo Dimchev défie les étiquettes

Il est beau et laid. Fascinant et effrayant. Angélique et menaçant. Commercial et underground. Ses concerts surprennent. Provoquent. Déstabilisent. Et c’est une véritable star chez lui… en Bulgarie.

L’improbable Ivo Dimchev, qui se produit lundi et mardi au MAI, à Montréal, n’est décidément pas un chanteur comme les autres. Ses performances, ouvertement queer, restent foncièrement imprévisibles. Et si ses chansons semblent inoffensives à première vue, elles véhiculent indiscutablement leur part de danger.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ARTISTE

Ivo Dimchev dans l’une de ses performances

Impossible, par là, de le mettre dans une case précise. L’artiste défie les étiquettes. On peut évoquer Freddie Mercury (pour la moustache), Lady Gaga (pour l’exubérance) et Antony and the Johnsons (pour la voix), avec une couche supplémentaire de radicalité et de « bulgarité ».

Mais quand on lui demande de nous expliquer plus clairement qui il est, Ivo Dimchev, 42 ans, répond tout simplement qu’il est un « auteur-compositeur non conventionnel » et qu’il lui est impossible de résumer en quelques phrases les contradictions de son personnage.

« J’utiliserais probablement le mot ‟compliqué”, avance-t-il. Oui, c’est ça, je suis un artiste compliqué », dit-il en riant.

Mon travail ne va pas dans une seule direction. J’aime établir des choses et ensuite les pervertir. J’aime servir un concept et ensuite le trahir. J’aime glorifier l’idée de l’amour et ensuite en rire. Valoriser le beau et le précieux, avant d’aller dans le trash, le laid et le cheap, pour rendre ça beau et le vendre.

Ivo Dimchev

Cette ambiguïté dérange. Ivo Dimchev est un artiste subversif. Pas étonnant que sa réputation se soit longtemps limitée au circuit de l’art contemporain, que ce soit chez lui ou à l’international. On l’invitait dans des galeries, des musées, des soirées de performance et d’avant-garde.

Mais sa voix suave et ses mélodies étranges ont fini par dépasser le strict cercle des initiés, pour atteindre le grand public.

En 2018, Ivo Dimchev a connu une drôle de consécration, en étant invité à l’émission britannique The X Factor. Sa performance a emballé les juges (dont le chanteur Robbie Williams et le créateur du concept, Simon Cowell) malgré l’indiscutable bizarrerie de la chanson interprétée. Avec du recul, il qualifie l’expérience de « précieuse », parce qu’elle lui a permis d’expérimenter dans un autre contexte, beaucoup plus commercial.

Voyez la vidéo de The X Factor

L’artiste a aussi fait parler de lui pendant la COVID-19, en donnant des spectacles personnalisés dans les cuisines, les toilettes et les salons des gens, au mépris des règles du confinement. Il a fait un tabac en Bulgarie, avant d’exporter le concept à Istanbul, New York et Los Angeles, où ses concerts « Korona kush kush » ont fait l’objet d’un documentaire.

« Beaucoup de mes collègues ont continué à pratiquer leur art sur les plateformes numériques. Moi, je voulais rencontrer un vrai public. C’était important de continuer à m’exercer comme auteur-compositeur. Ce n’était pas un problème de le faire devant une ou deux personnes. J’ai donné 400 concerts de cette façon », raconte-t-il.

Voyez un extrait de « Korona kush kush »

Mobiliser les consciences en Bulgarie

Aujourd’hui, Ivo Dimchev est devenu une vraie pop star en Bulgarie. Ses chansons tournent à la radio, ses clips très léchés sont vus des milliers de fois et il est régulièrement invité sur des plateaux de télévision. « Depuis deux ou trois ans, il n’y a pas un Bulgare qui ne connaît pas son nom », assure Lilly Dragoeva, directrice générale de l’association LGBTQ+ bulgare BIlitis.

Cette notoriété est effectivement étonnante, vu le caractère sulfureux du personnage, ouvertement gai et séropositif, qui revendique sa sexualité sans complexes.

Il faut savoir que la Bulgarie est encore très conservatrice sur le plan des mœurs et que les droits des personnes LGBTQ+ sont loin d’être une chose acquise. Si l’homosexualité a été décriminalisée aussi tôt qu’en 1968, les crimes haineux persistent et l’existence des couples du même sexe n’est toujours pas reconnue par la loi. « Ici, c’est : ne le dis pas et on ne te le demandera pas », résume tout simplement Mme Dragoeva.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ARTISTE

Ivo Dimchev

Mais Ivo Dimchev est parvenu à toucher les masses malgré sa « différence ». « Ça prouve que finalement, ce que tu fais est plus important que la personne avec qui tu couches », ironise-t-il.

Non négligeable : son succès lui permet aussi de sensibiliser l’opinion bulgare autour de ces sujets de société encore très délicats. « Quand j’ai annoncé que j’étais positif au VIH en 2006, j’ai eu beaucoup d’interviews dans les médias. Ça m’a permis de lancer une conversation. Comme chanteur populaire, ça me paraissait important d’en parler, car cette maladie est encore taboue chez nous. À tel point que des gens quittent le pays quand ils apprennent qu’ils sont positifs », dit-il.

Voyez la vidéo de la chanson Pushkin, d’Ivo Dimchev

Ivo Dimchev s’est déjà produit à Montréal, en 2007 et en 2010. Son nouveau spectacle, Halal, sera en grande partie inspiré de ses performances pendant la COVID-19. L’artiste promet un mélange de chansons étranges et de questions/réponses décalées avec le public. On peut s’attendre à une autre de ses performances déstabilisantes et paradoxales. « Comme le monde dans lequel nous vivons », conclut-il.

Ivo Dimchev, en concert au MAI dans le cadre du festival Queer Performance Camp, 3680, rue Jeanne-Mance, le lundi 6 février, à 19 h 30, et le mardi 7 février, à 19 h 30

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