Après avoir tenu à bout de bras son évènement pendant près d’une décennie, l’équipe du sympathique festival La Grosse Lanterne, qui se déroulait en forêt près de Béthanie, en Montérégie, a décidé de jeter l’éponge. Le septième et dernier évènement aura donc eu lieu en août 2022.

« On a réussi à faire vivre ce festival sans vraiment avoir d’appui public », déplore le cofondateur Mathieu Pontbriand, qui explique que la décision est le fruit d’une longue réflexion.

Le festival n’a bénéficié d’aucune subvention depuis ses débuts en 2014, sauf pendant les deux années pandémiques, « ce qui est quand même ironique », dit-il. « On a eu des subventions de soutien de la SODEC pendant la pandémie, mais après, on n’est plus admissible. Alors on essaie de comprendre. »

Mathieu Pontbriand a investi son cœur et son temps, mais aussi perdu beaucoup d’argent dans l’aventure. « On ne s’est jamais versé de salaire, mais on a toujours rempli nos engagements envers les artistes, les techniciens. » À bout de souffle, celui qui travaille aussi depuis longtemps dans l’évènementiel a donc décidé que c’était assez. « Mais le débat, il faudrait aussi qu’il aille sur la façon avec laquelle les enveloppes sont réparties entre les grosses machines et les petits festivals. »

À la SODEC, on explique que La Grosse Lanterne n’était pas un « client » avant la pandémie. « Seuls les plus gros sont admissibles, comme le Festif, le FME, les Francos ou le Festival d’été de Québec, explique la directrice des communications, Johanne Marcotte. Mais quand la pandémie est arrivée, plusieurs évènements sont venus frapper à notre porte. On n’a pas pu les prendre dans le programme Festival, mais dans celui de Relance culturelle, pour que la chaîne musicale continue à vivre. »

Avec le retour à la normale, La Grosse Lanterne allait de nouveau être exclue, dit Mme Marcotte.

Les petits festivals de région, c’est vraiment par le ministère du Tourisme qu’ils sont financés.

Johanne Marcotte, directrice des communications de la SODEC

L’organisation de La Grosse Lanterne n’a jamais déposé de demande de ce côté, explique Mathieu Pontbriand. « Nous ne pouvions déposer, car les données concernant la provenance de notre public ont été jugées insuffisantes. Mais faire produire une étude d’achalandage était vraiment hors de nos moyens. C’est une autre faille dans le rouage des subventions, comme quoi seuls les plus gros peuvent se le permettre. »

Johanne Marcotte précise que le programme de subventions de la SODEC pour les festivals changera de forme et de nom d’ici un mois : il portera à la place l’appellation « Évènement culturel » et sera « beaucoup plus malléable ». « Ça permettra à des évènements multidisciplinaires d’en bénéficier, dit-elle. La Grosse Lanterne aurait pu répondre aux critères. Mais en même temps, un 50 000 $ de subvention, ce n’est pas ça qui fait vivre un festival. Ça prend de gros commanditaires qui amènent de l’argent. »

Multiplication des demandes

Un des problèmes de La Grosse Lanterne, estime Mathieu Pontbriand, était qu’il ne rentrait dans aucune case.

On est allés large dans nos activités, avec un festival écoresponsable en harmonie avec la nature, une illumination en forêt. Mais dès que tu veux sortir du moule, ça devient bien compliqué.

Mathieu Pontbriand, cofondateur de La Grosse Lanterne

Parce que tout est très compartimenté entre les organismes subventionneurs des différents ordres de gouvernement, remplir des demandes représente au moins « 50 % du temps » des organisateurs de festivals, dit Patrick Kearney, président du festival Santa Teresa et du REFRAIN, regroupement fondé il y a deux ans qui représente près d’une centaine de festivals dans la province. « Ce n’est pas glamour ben ben, et ça rajoute à la lourdeur », dit-il. Surtout pour les petits festivals à équipe réduite, ce à quoi s’additionne la fatigue pandémique, l’augmentation des coûts et la pénurie de main-d’œuvre.

Mais les festivals ne sortent pas nécessairement fragilisés de cette année de reprise des activités, analyse Patrick Kearney. « Quelques-uns sont dans des remises en question, je dirais quatre ou cinq sur une centaine. Mais pour certains, c’était déjà difficile avant la pandémie. Pour la grande majorité, ça a bien été, il y avait du monde, les gens avaient faim après deux ans. La plupart des bilans sont positifs, mais on a senti la hausse des coûts et on anticipe l’an prochain. »

Mathieu Pontbriand, qui garde des souvenirs « incroyables » de son festival, veut de son côté lancer un cri du cœur et un débat. « Je ne suis en guerre contre personne. Mais on mettait de l’avant la langue française et la culture québécoise, on a emmené la musique émergente en région, on a respecté les valeurs de diversité et d’équité, on a tout suivi ça… C’est triste, en fait. C’est vraiment triste. »