Ce n’est pas tous les jours qu’un bloc de 13 disques made in Québec atterrit dans les bacs des disquaires, tous styles confondus. En fait, ce n’est probablement jamais arrivé. Et c’est grâce au chanteur et entrepreneur culturel Marc Boucher que le miracle s’est produit. Regard sur cette première intégrale des mélodies de Massenet sortie récemment chez Atma Classique.

« C’est quand même cinq ans de travail qui prend forme », lance d’emblée le baryton, également directeur général et artistique du festival Classica à ses heures.

Le « virus » de l’intégrale, il l’avait déjà attrapé quelques années plus tôt en réalisant celles des mélodies de Poulenc et de Fauré. Mais il était question, chaque fois, de « seulement » une centaine de mélodies.

Or, Jules Massenet, plus connu pour ses opéras comme Manon et Werther, est à l’origine de plus de 300 mélodies (dont plusieurs sont enregistrées pour la première fois), un record dans l’Hexagone. Ce qui amène le chanteur à le qualifier de « Schubert français ».

Avec son ami Jacques Hétu (à ne pas confondre avec le défunt compositeur), passionné de Massenet, il fait venir de France un authentique piano Érard de l’époque du compositeur. Marc Boucher réussit également à convaincre son collègue Olivier Godin d’assurer l’accompagnement de l’ensemble des mélodies, ce qui implique de se mettre une quinzaine d’heures de musique dans les doigts.

Et il y a les chanteurs, bien sûr. Pas question de confier le tout à un seul exécutant, comme l’a fait par exemple un Fischer-Dieskau dans Schubert, Brahms et Strauss.

C’est assez clair pour quel type de voix Massenet écrit. On s’est laissé guider par l’écriture des mélodies.

Marc Boucher

Pour conserver, dans la mesure du possible, les tonalités d’origine et la couleur vocale exigée par chaque mélodie, Marc Boucher a fait appel à 17 chanteurs différents (dont lui-même), tous d’ici, une enfilade d’artistes qui se lit comme le panthéon actuel du chant québécois avec Marie-Nicole Lemieux, Jean-François Lapointe, Karina Gauvin, Julie Boulianne, Michèle Losier et Frédéric Antoun, pour ne nommer que les plus connus.

D’autres artistes se sont joints au besoin pour des parties de récitant, de violon, violoncelle, guitare ou harpe.

Deux ans de « pur bonhneur »

Avec le nombre d’œuvres et d’interprètes impliqués, il était hors de question d’enregistrer le tout d’un seul tenant. La disponibilité de l’église Saint-Benoît de Mirabel a permis à l’équipe d’étirer le tout sur presque deux ans, une période « de pur bonheur » pour le maître d’œuvre, qui était présent pour l’enregistrement de chacune des mélodies.

Marc Boucher avait également le devoir d’assurer l’uniformité artistique de l’intégrale. Pas question, notamment, de mêler « r » grasseyés et « r » apicaux (roulés) selon le bon vouloir des chanteurs. Ce sont les seconds qui ont eu la faveur du chanteur, dans la lignée de l’enseignement du légendaire Pierre Bernac. Pas question non plus d’aller vers une hypercorrection en matière de liaisons, en faisant par exemple entendre un « z » dans « vers elle », comme il est parfois coutume dans les vieux enregistrements français.

Et il y a le chant. « La conduite vocale, chez Massenet, n’est pas la même que chez Fauré par exemple, explique le baryton. C’est plus lyrique, plus legato. Il y a comme de la guimauve dans la ligne vocale. Une voyelle appelle la suivante. »

Quand on va à fond dans ça, on arrive au cœur de l’esthétique Massenet. Je ne pense pas qu’on se soit égarés.

Marc Boucher

Mais quel est l’intérêt d’enregistrer tout cela, finalement ? Tout est-il bon dans le cochon ? « Marie-Nicole [Lemieux] a dit que Massenet, c’est une musique qui vient du cœur, qui a une sensualité débordante. Il y a une signature chez lui. Sur les 333 mélodies, je peux dire, à mon humble avis, qu’il y en a entre 5 et 10 dont on aurait peut-être pu se passer. Car même si Massenet n’écrit pas toujours sur des textes géniaux, son génie est de transcender ces textes. »

« Il était un peu comme le Elton John ou le Paul McCartney de l’époque. Ou le Reynaldo Hahn. Sa musique sort d’un jet », ajoute-t-il.

Que fera Marc Boucher après cela ? Il pense peut-être à une intégrale Gounod ou Dubois. « Mais là on souffle un peu, on va récolter les fruits de ce projet », prévient le chanteur.

Jules Massenet – Intégrale des mélodies pour voix et piano

Classique

Jules Massenet Intégrale des mélodies pour voix et piano

Artistes variés

Atma Classique