Bien que Kanye West ait perdu la quasi-totalité de ses contrats en raison de ses commentaires antisémites, le rappeur américain fait toujours l’objet d’un cours à l’Université Concordia, à Montréal. Et c’est très bien ainsi, à condition que le professeur saisisse cette « opportunité d’éducation », croient des organisations juives jointes par La Presse.

« Il incombe au professeur et à l’université de profiter de cette occasion pour éduquer les étudiants sur ce que signifie avoir une plateforme si énorme, sur les responsabilités qui viennent avec et sur l’impact que cela peut avoir lorsqu’on propage la haine », note Jake Assouline, président de Hillel Concordia, association étudiante de défense et de promotion de la culture juive.

L’annonce d’un tout premier cours universitaire consacré à Kanye West — ou Ye depuis 2021 — a fait grand bruit partout dans le monde. Depuis le 6 septembre et jusqu’au 7 décembre, quelque 200 étudiants de Concordia dissèquent le célèbre chanteur-trublion sous la gouverne du rappeur Yassin Alsalman, alias Narcy.

Le chargé de cours responsable de « Kanye vs Ye : Genius by design » a refusé notre demande d’entrevue. La Presse voulait notamment savoir si M. Alsalman modifierait son plan de cours à la lumière des frasques racistes de Kanye West.

Le rappeur né à Atlanta a été temporairement suspendu de Twitter après avoir écrit dans une publication diffusée le 8 octobre — et supprimée depuis par le réseau social — qu’il s’attaquerait aux Juifs.

Résultat ? Kanye West a été largué par l’ensemble de ses partenaires commerciaux : l’agence de talents CAA, la société de production MRC ainsi que les entreprises de mode Balenciaga, Adidas, Gap et Foot Locker. Donda Academy, école chrétienne privée du rappeur située en Californie, a aussi mis ses activités sur pause.

Les hauts et les bas

« Le cours est une réflexion sur le parcours de Kanye : ses succès et ses échecs, ses couronnements et ses chutes », explique Vannina Maestracci, porte-parole de l’Université Concordia, dans un courriel transmis à La Presse.

Elle précise que la matière ne porte pas sur « Kanye au sens strict », mais que celle-ci repose sur une analyse critique de son œuvre. « C’est une manière d’examiner la culture de la célébrité, l’importance de la culture du hip-hop et des questions liées à la race, au pouvoir, aux médias, entre autres, à travers son parcours. »

« Un des outils les plus forts dans la lutte contre la haine, c’est l’éducation », fait remarquer Eta Yudin, vice-présidente québécoise du Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA). « Je n’ai pas regardé les détails du cours, mais à mon avis, c’est une opportunité d’éducation. »

Il faut expliquer aux étudiants qu’une personne qui a atteint un tel niveau d’influence dans le monde doit peser ses mots, ses messages.

Eta Yudin, vice-présidente québécoise du Centre consultatif des relations juives et israéliennes

Kanye West n’est pas la seule figure controversée enseignée à l’université, rappelle Daniel Koren, directeur général de Hasbara Canada, organisation sioniste qui lutte contre l’antisémitisme dans les écoles et les campus. Il importe aussi de faire une distinction entre le musicien « incroyable » et le semeur de haine dans les médias sociaux.

« Je ne sais pas si j’irais jusqu’à sommer Concordia d’arrêter d’enseigner Kanye West. Mais du côté de l’université, des professeurs, il faut surtout que les enjeux [d’antisémitisme] soient abordés. On doit s’assurer que la désinformation, la propagande et la stigmatisation des Juifs ne sont normalisées d’aucune façon. »

Des répercussions sur les campus

Jake Assouline, de Hillel Concordia, rappelle que Kanye West compte quelque 30 millions d’abonnés sur Twitter, soit plus que le double de la population juive dans le monde. L’influence du rappeur est telle que ses commentaires antisémites « contribuent à affecter la perception et l’attitude envers les étudiants juifs sur le campus ».

Ceux-ci sont de plus en plus inquiets « en raison de l’environnement toxique et des incidents antisémites », observe M. Assouline. « Les déclarations de Ye n’ont fait qu’accroître ce malaise. Nous devons tous nous unir pour dénoncer la haine quand nous la voyons, et c’est l’occasion pour Concordia de montrer qu’elle est solidaire de sa communauté juive. »

« C’est effrayant pour des étudiants juifs de Concordia de voir sur l’internet d’autres étudiants écrire que Kanye a raison, souligne pour sa part Daniel Koren, de Hasbara Canada. On continue de faire la promotion d’un mythe comme quoi le peuple juif contrôle les médias, les banques, etc. Si on contrôlait vraiment les médias, on n’aurait pas cette discussion en ce moment. »