Elle « mendie des poèmes pour se sentir vivante », dit son amie Joséphine Bacon. Avec le livre-disque Maudit silence, Chloé Sainte-Marie pousse encore plus loin les frontières de son répertoire poétique mis en musique. Elle le fait en 14 langues latines, créoles et autochtones en proche collaboration avec le géographe Jean Morisset, ainsi qu’avec les mots de Nancy Huston, James Noël et même Jack Kérouac.

« Comme si je n’avais pas connu ma vraie famille », dit-elle.

Quand Chloé Sainte-Marie a croisé la route de Jean Morisset, auteur du livre Sur la piste du Canada errant, elle a eu une sorte de révélation. La même qu’elle avait ressentie en Haïti en 2015 pour le spectacle des Nuits amérindiennes, où elle se produisait avec sa grande amie Joséphine Bacon, qu’elle surnomme affectueusement Bébitte. « J’ai eu l’impression d’avoir nié ma créolité. »

Avec une soif de mieux connaître « nos racines d’un pôle à l’autre », celle qui est depuis longtemps portée par la culture innue a voulu mettre en lumière des langues qui ont « échappé au néant » du Grand Nord jusqu’en Patagonie.

Dans le spectacle de son album précédent, À la croisée des silences, Chloé Sainte-Marie récitait un poème de Jean Morisset — géographe de formation – intitulé Kyrié-Kyrié Kwé-Kwé. Mais ce n’était pas assez. « C’est un stabat mater autochtone et je voulais le chanter », raconte Chloé Sainte-Marie.

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Ce désir musical a nourri les fondations de Maudit silence, fruit de six ans de travail et d’une proche collaboration avec Jean Morisset, qui signe de nombreux textes et traductions de poèmes, dont certains ne se retrouvent que dans le magnifique livre illustré qui accompagne les deux disques.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Chloé Sainte-Marie

Je n’avais jamais rencontré de géographe, et c’est tellement différent d’un littéraire. Jean a le territoire dans le corps. Il est un autre Gilles Carle. Ils sont des maîtres, des professeurs… qui m’ont prise comme une petite abeille et qui m’ont donné des fleurs.

Chloé Sainte-Marie

« Chloé est une petite surdouée. Elle a le sens des mots, car elle a les sons en elle », renchérit Jean Morisset.

Des voix multiples

Investi par le métissage culturel des trois Amériques, Jean Morisset, fils de navigateur, a visité le Grand Nord, Haïti, le Brésil, les Antilles, la Patagonie… Les voix de nombreux amis et connaissances se retrouvent sur Maudit silence, car Chloé Sainte-Marie tenait absolument à avoir des voix pour plusieurs des 14 langues latines, créoles et autochtones qui figurent sur le livre-disque… « L’album n’était pas fini tant qu’on n’avait pas le guarani, le quechua, le maya, le mapuche […] Je me suis accrochée à ça », raconte-t-elle.

Ainsi, Wara, une étudiante d’origine bolivienne, récite en quechua un poème de Jean Morisset dont le titre est Vous dont les langues ont échappé au néant, alors que Mateo Pablo, du Guatemala, prononce en maya les mots du poème Vous qui avez résisté aux attaques des coupeurs de langue. « Mateo Pablo vit ici maintenant, mais il a vécu le massacre à Petanac [en 1982], souligne Chloé Sainte-Marie. Cela m’a troublée d’apprendre que le maya n’est pas écrit. »

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Chloé Sainte-Marie nous fait découvrir les mots du poète haïtien James Noël. Elle cède la parole à son amie Joséphine Bacon comme elle chante les mots de Nancy Huston sur Plain Song Song of a Plain Man.

Fidèle collaborateur

Pour mettre en musique la moitié des 27 textes de l’album double, Chloé Sainte-Marie a fait appel à son fidèle collaborateur Yves Desrosiers ainsi qu’au réalisateur François Richard. Ils ont donné un souffle vibrant à des chansons comme Ti Katkat et Tchee-Kee Dee-Dee-Dee-Dee (une sorte de rap avec du violoncelle !), alors que Kondiaronk — hommage au chef huron à qui l’on doit la Grande paix de Montréal — est tout en sobriété.

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C’est beau d’entendre Chloé Sainte-Marie chanter en espagnol sur Soy la Deconquista Triumphante. « C’est ça au fond l’album, la déconquête triomphante ! », lance-t-elle.

C’est avec émotion qu’elle porte aussi les mots de Louis Riel, ainsi que, sur deux pièces, ceux de Jack Kérouac (Jean Morisset et Chloé Sainte-Marie tiennent à cette graphie avec un accent aigu). « Kérouac, je sens qu’il aurait pu être mon frère. Je suis sensible à son écriture et à sa façon de se comporter dans ses excès. J’aurais aimé le connaître. »

Au service des mots des autres

« Je ne lis que de la poésie et j’ai chanté des cantiques toute mon enfance avec ma mère », dit avec modestie Chloé Sainte-Marie quand on souligne la vaste étendue de son répertoire de poésie chantée avec sept albums.

Si l’artiste à la chevelure rouge rebelle est amoureuse des mots, elle est surtout à l’écoute des autres dans une perpétuelle quête d’apprentissage.

Mon école, ce sont les humains. J’ai souvent découvert l’homme ou la femme avant l’œuvre.

Chloé Sainte-Marie

Chloé Sainte-Marie n’avait jamais lu Gaston Miron avant de le rencontrer, nous rappelle-t-elle, de la même façon qu’elle n’avait jamais vu un film de Gilles Carle avant de lui parler. Ce dernier disait par ailleurs de sa douce qu’elle avait échappé à tout « formatage universitaire ».

Chose certaine, Chloé Sainte-Marie voue un immense respect à la notion de mémoire. Elle se souvenait par ailleurs de nombreux détails de sa première rencontre avec la journaliste qui écrit ces lignes, il y a 18 ans, à son ancienne maison de l’île Verte, alors que son grand amour, aujourd’hui disparu, était toujours à ses côtés et sous ses soins très prenants. Le but du reportage était d’expliquer ce qu’est un « aidant naturel », un terme — et un combat — que tous connaissent aujourd’hui, notamment grâce à elle.

Pourquoi Chloé Sainte-Marie est-elle si souvent au-devant des grandes préoccupations de demain ? « Je sens les choses », se contente-t-elle de dire avec l’éclat de rire qui la rend si attachante.

Maudit silence sort le 12 octobre.

En savoir plus
  • En spectacle
    Philippe Cyr et Émilie Monnet signent la mise en scène du spectacle Maudit silence, dont la tournée débutera le 20 octobre au Théâtre de la Ville de Longueuil. Chloé Sainte-Marie sera accompagnée de Guillaume Bourque (guitares et basse), Catherine Le Saunier (violoncelle, percussions et chœurs) et de son grand complice Yves Desrosiers. George Wahiakeron Gilbert assurera la narration des enchaînements alors que Joséphine Bacon fera sans doute quelques apparitions.