Björk déploie sur Fossora une musique de chambre contemporaine parfois teintée de techno qui ne vient pas avec un mode d’emploi.

On ne s’attend plus à ce que Björk réinvente la pop depuis longtemps. Elle s’éloigne de ce territoire depuis Medulla (2004), proposant des albums de plus en plus conceptuels. Fossora (fossoyeuse ou plutôt « celle qui creuse », selon l’interprétation de l’artiste), ne fait pas exception : c’est une réflexion sur les racines (familiales et ce qui nous relie aux autres et aux écosystèmes) menée par une compositrice qui refuse la facilité.

L’image qui résume l’album est celle du mycélium, l’invisible réseau racinaire des champignons qui contribue à la santé des sols et permettrait même aux arbres de communiquer et d’échanger des nutriments. Mycelia est d’ailleurs le titre de l’une des pièces instrumentales de Fossora qui fait écho à cette idée : elle est faite de mélodies en pointillé, évoquant autant le réseau internet que les liens qu’il permet de créer ou de conserver.

L’adéquation entre la forme et le fond est toujours éloquente sur Fossora. Puisque Björk parle de transmission et de filiation — une réflexion visiblement nourrie par la disparition récente de sa mère —, on trouve logique qu’elle ait invité son fils Sindri (sur Ancestress) et sa fille Isadora (sur Her Mother’s House). Elle déploie aussi ses musiques en réseaux de mélodies et de timbres qui s’additionnent plus qu’ils ne fusionnent, formant des peintures abstraites, mais moins cérébrales que sensibles.

On s’en doutait à l’écoute des premiers extraits : Björk n’offre rien de pop, en ce sens que ses nouvelles chansons ne sont pas faites pour accrocher dès la première écoute. Il ne s’agit même pas de musique « cinématographique ». Fossora se rapproche davantage d’une forme de musique de chambre contemporaine, qui ne renierait ni la techno (qui apparaît ici dans un rôle très secondaire) ni le traitement du son.

Les instruments à vent occupent un large espace dans ces morceaux qui n’ont pourtant rien d’aérien. Ils constituent même la toile de fond de ce disque, l’écrin sur lequel Björk dépose son chant caractéristique. L’environnement sonore est aussi rehaussé de cordes qui apportent de la chaleur — et même un peu de lyrisme — à ces musiques faites de coups de pinceau plutôt que de lignes continues.

Fossora n’est pas un album « facile ». Ceux qui espèrent que Björk reviendra à sa manière des années 90 feraient mieux de passer leur tour. Ce disque-là ne va pas jouer dans les 5 à 7 non plus et ce n’est pas forcément le genre de disque qu’on réécoute « pour le plaisir » un dimanche après-midi. Il s’agit d’une œuvre avec un O majuscule, d’une expérience exigeante sans être aride, qui creuse avec une acuité unique la complexité des liens qui nous unissent. Ce n’est pas confortable, mais c’est riche et beau.

0:00
 
0:00
 
Fossora

ART-POP CONTEMPORAINE

Fossora

Björk

One Little Independent

8/10