« C’est comme si ton employeur te disait : “Désolé, j’ai fait une erreur et j’ai donné plus à la gang de l’entrepôt qu’à celle du bureau… » OK, mais est-ce qu’on peut réajuster ça ? »

Moins touchée que d’autres artistes par ce qui apparaît dans le milieu comme une erreur dans le modèle de redistribution des redevances radio de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), Andréanne A. Malette se dit autant frustrée par les pertes essuyées que par le contexte de l’affaire. « Personnellement, je ne suis vraiment pas chialeuse, je ne suis pas du genre à aller au batte, mais c’est vraiment plate de se faire dire que c’est ça qui est ça, lance l’autrice-compositrice-interprète. Si les artistes se mobilisent comme ça, c’est que c’est quelque chose d’important pour tout le monde. »

Treize artistes d’ici ont signé mardi une lettre ouverte dénonçant le fait qu’ils ont été privés d’une partie des redevances radio auxquelles ils avaient droit entre 2019 et 2021. Les auteurs-compositeurs soutiennent avoir perdu près de 2 millions de dollars. La SOCAN, qui a demandé à répondre à nos questions par courriel, soutient plutôt que sa méthode de calcul introduite en 2019 a permis de payer en moyenne 807 membres québécois de plus par trimestre, soit une augmentation de 23 %. « Par conséquent, beaucoup plus de membres de la SOCAN ayant un petit catalogue de musique reçoivent maintenant des redevances », peut-on lire dans la réponse du porte-parole de l’organisme.

Andréanne A. Malette partage entièrement les doléances de Louis-Jean Cormier, Gilles Vigneault, Elisapie, Corneille, Vincent Vallières, Cœur de pirate et compagnie. Elle a elle-même constaté qu’il y avait anguille sous roche quand elle a reçu son chèque de redevances en novembre dernier. « Comme artiste, c’est relativement difficile de savoir ce qui entre chaque mois. L’argent arrive, on est content ou on est déçu, exprime-t-elle. Mais tout d’un coup, en novembre, les redevances ont remonté, dans mon cas ç’a été de 38 % par rapport à mon chèque précédent. Comme c’était plutôt tranquille de mon côté et que je n’avais aucune nouvelle chanson qui jouait à la radio, je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui clochait. »

Privés de 45 % de leurs redevances

C’est David Murphy, président d’une entreprise spécialisée en gestion de droits musicaux et audiovisuels, qui a mis au jour le problème. Selon ses calculs, appuyés par des économistes, l’erreur a globalement privé les artistes francophones de 45 % de leurs redevances pendant plus de 18 mois. L’erreur serait survenue, selon lui, quand la SOCAN a décidé d’ajouter 200 stations de radio dans son principal bassin de répartition des redevances, celui dont le contenu est analysé en tout temps grâce à la technologie BDS (Broadcast Data Systems) de Nielsen — l’autre bassin fonctionne à l’ancienne, par voie de sondage.

Selon M. Murphy, seulement 10 % de ces 200 stations ajoutées au bassin BDS se trouvent au Québec ; le contenu francophone s’est donc retrouvé complètement noyé. Les artistes francophones, absents des ondes des stations anglophones, ont donc vu leurs redevances chuter brutalement.

« Le Québec contribue entre 21 et 23 % des droits de licence au pays », explique M. Murphy, qui représente les intérêts de quelque 200 artistes de la province. Or, quand la SOCAN a décidé d’inclure l’analyse de ces 200 radios dans le bassin BDS, la proportion du marché n’a pas été respectée.

« Le Québec est un marché très différent du Canada. Il y a ici beaucoup moins de stations de radio par rapport à la population, mais elles sont grosses et touchent beaucoup de monde, enchaîne David Murphy. Elles payent ainsi plus en redevances bien qu’elles comptent très peu en nombre de passages radio. Or, la valeur d’un passage est partout la même au Canada. Finalement, la SOCAN a changé sa méthodologie de manière à ce que les dollars versés par les radiodiffuseurs d’ici soient redistribués aux ayants droit qui sont diffusés ici. »

La SOCAN dit plutôt avoir simplement mis à jour ses règles de répartition de façon à témoigner des progrès permettant de mieux identifier et d’apparier les prestations. Pas question donc de dédommager qui que ce soit : « Le recalcul rétroactif de la répartition pour les 18 mois comprendrait des débits pour des milliers d’auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, dont plus de 3000 membres francophones basés au Québec », écrit la SOCAN.

« Je ne demande pas de débiter les artistes qui ont reçu plus d’argent, c’est l’erreur de la SOCAN, réagit de son côté David Murphy. Il faut indemniser ceux qui ont été floués. La SOCAN a un fonds de réserve qui a déjà été utilisé pour essuyer des pertes dans le passé, notamment dans des coentreprises qui ont mal tourné. Ils ont mis fin à ces projets-là, ça apparaît aux états financiers, on parle de millions en pertes. »

M. Murphy est justement sur le point de déposer une demande d’autorisation pour exercer une action collective dans l’espoir d’obtenir réparation, une démarche appuyée par l’Association des professionnels de l’édition musicale, qui dit néanmoins souhaiter que l’affaire se règle prochainement.