La grande contralto Nathalie Stutzmann s’est convertie à la direction d’orchestre il y a une quinzaine d’années. Elle faisait ses débuts avec l’Orchestre Métropolitain samedi soir. Le résultat n’a, hélas, pas été à la hauteur de nos attentes.

Nous partions pourtant avec des préjugés fortement positifs, étant donné les réalisations de la musicienne en tant que chanteuse, qui était récemment nommée à la tête de l’Orchestre symphonique d’Atlanta, faisant d’elle la deuxième femme – après Marin Alsop à Baltimore – à tenir les rênes d’un ensemble d’une telle importance au pays de l’oncle Sam.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Nathalie Stutzmann

Regarder Nathalie Stutzmann en action donne toutefois, hélas, l’impression de voir un bon élève de conservatoire en action, sans plus. Elle connaît bien sa partition, donne les entrées au bon moment en regardant au bon endroit. Mais elle ne va guère plus loin.

Les impressions visuelles ne font évidemment pas foi de tout. On connaît de splendides musiciens qui donnent des frissons sans dépenser une goutte de sueur. Et d’autres qui s’agitent un peu en vain aussi.

Mais règle générale, lorsque la musique s’incarne vraiment dans le corps, comme avec Yannick Nézet-Séguin ou Rafael Payare (qui est d’ailleurs venu écouter sa collègue), tant le son que le discours prennent une tout autre dimension.

Oublier la musique

La cheffe française avait choisi la Symphonie no 6 en si mineur, « Pathétique », de Tchaïkovski. Difficile de faire partition plus émouvante : la Pathétique contient assurément quelques-uns des plus beaux thèmes de l’histoire de la musique.

Mais Nathalie Stutzmann est tellement préoccupée par la mise en place qu’elle en oublie la musique. Je repensais à une certaine professeure de piano assez colorée qui disait à ses élèves au jeu trop réservé qu’ils devaient jouer comme s’ils venaient de jeter leurs vêtements de l’autre côté de la rue. Cet abandon était absent samedi.

Quand Tchaïkovski met telle dissonance, telle harmonie poignante, il faut que l’interprète y goûte lui-même pour que le public la savoure. Ce n’est pas quelque chose qui se calcule comme un théorème. La chanteuse le fait pourtant magnifiquement lorsqu’elle chante Bach, par exemple. Mais cela lui reste à trouver comme cheffe.

Dans les mouvements lents, le problème concerne les thèmes lyriques, qui sont dirigés avec une impardonnable indifférence. Dans les mouvements rapides, c’est l’urgence qui fait défaut. La musicienne ne fournit pas assez d’énergie pour mener les phrases à bon port.

Quid du côté dansant du deuxième mouvement, une sorte de valse à cinq temps dont on ne sent guère le côté délicieusement capricieux ? Idem avec le troisième mouvement, beaucoup trop statique. Mais le public applaudit à la fin parce que ça finit fort…

Un grand musicien disait un jour en cours de maître qu’on devait jouer un mouvement rapide comme si on était entouré de mouches qu’on espérait balayer une fois la pièce finie. Une manière de dire qu’il faut appuyer sur l’accélérateur, ce qui n’interdit pas bien sûr un coup de frein ici et là pour laisser passer une beauté passagère. Nathalie Stutzmann vit toutefois très bien avec les moustiques.

Timidité de la direction

Et il y a le son. Tchaïkovski, c’est la beauté des cordes à son zénith. On a beau travailler la sonorité d’un orchestre pendant des années et avoir les meilleurs musiciens du monde, c’est l’engagement du chef qui donne la vie au son.

Malgré la relative tenue de l’ensemble (en termes de mise en place), les départs étaient en outre souvent incertains, du fait de la timidité de la direction. Au début du troisième mouvement, la battue dans le vide donnée avant le vrai départ a rendu certains musiciens confus, puisqu’on n’a pas senti de différence entre les deux gestes.

Nous avions eu un avant-goût de tout cela dans le Concerto pour violon no 2 en sol mineur de Prokofiev en début de concert, en particulier dans le dernier mouvement, marqué « ben marcato », indication laissée en plan.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le jeune violoniste suédois Daniel Lozakovich

Le soliste était le jeune violoniste suédois Daniel Lozakovich, avec qui Mme Stutzmann a déjà collaboré ailleurs. Il est connu pour avoir signé chez Deutsche Grammophon à 15 ans. Il en a aujourd’hui 21.

La technique est impressionnante, et le jeu est loin d’être dénué de musicalité, mais on ne perçoit pas encore de personnalité vraiment originale. La projection du son est aussi encore à parfaire. Et l’esprit sardonique de Prokofiev n’était guère au rendez-vous. Un talent à suivre donc.