Sur papier, l’idée était osée, mais se tenait : jouer la carte de l’androgynie et faire en sorte que David Bowie se réincarne à travers trois chanteuses, soutenues par un groupe de huit musiciens capables de reproduire ses albums Low, Heroes et Lodger à l’identique. Heroes/Bowie/Berlin, spectacle que nous avons vu en première à la Place des Arts le 15 avril et qui est repris le 3 juin à Québec, n’est toutefois pas à la hauteur de ses promesses.

Il y a un refus, à la base de la démarche de Claude Larivée, producteur et principal architecte de Heroes/Bowie/Berlin : celui de mettre en scène un chanteur qui reprendrait les chansons de David Bowie, sous prétexte que cela ne fera que souligner l’absence de l’icône à la Place des Arts. Aucune image du Thin White Duke n’apparaît non plus dans les séquences vidéo géantes projetées en arrière-plan au cours du spectacle. Pour la même raison.

Partant du fait que Bowie affichait une image androgyne dans les années 1970, il a choisi de faire porter ses chansons – et une bonne partie du spectacle – sur trois jeunes chanteuses assez peu connues : Loryn Taggart, Gabriella et Elisabeth Gauthier-Pelletier. Il faut leur accorder ceci : les trois interprètes se sont vraiment démenées sur la scène de la Place des Arts, le soir de la première. Elles dansaient – imitant la gestuelle et la démarche de Bowie –, chantaient et faisaient leur possible pour faire lever le spectacle. Ce fut peine perdue. Et ce n’est pas leur faute.

PHOTO MARTIN BUREAU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

David Bowie, en 2002

Aucune des trois chanteuses ne débordait de charisme dans ce contexte, c’est vrai, même si Loryn Taggart sortait du lot. Le principal problème, c’est que leurs voix se distinguent somme toute peu les unes des autres et qu’elles ne parvenaient pas à interpréter les chansons avec le panache qu’elles exigent. Bowie est un chanteur fabuleux, sinueux, capable de passer des graves aux aigües, dont la voix peut casser et couler de nouveau en un instant. Soyons clair : un ou trois chanteurs masculins n’auraient pas nécessairement fait mieux. Par contre, en entendant le directeur musical Daniel Lacoste ajouter des notes graves dans plusieurs morceaux était révélateur du vide à combler au sein du trio féminin.

Sur le plan vocal, il y a aussi un problème de direction artistique. Avec trois chanteuses sur scène, le champ était libre pour tirer le maximum de duos, voire de trios. Ce fut peu ou mal exploité. C’était patent lors de la finale, Space Oddity. Alors que c’était le moment ou jamais d’oser des harmonies vocales – réécoutons Bowie lui-même… – les trois interprètes s’en sont pratiquement tenues à la même ligne mélodique. Peut-être espérait-on, du côté de la production, que le public prenne le relais et fasse chœur avec le groupe. Ce qui ne fut pas le cas.

Le spectacle souffre aussi du choix de miser essentiellement sur le contenu des albums Low, Heroes et Lodger.

Qu’ils soient considérés comme des chefs-d’œuvre, soit. Il faut par contre connaître son Bowie à fond pour savourer chacun des 24 morceaux au programme (la 25e d’Iggy Pop), puisque seulement la moitié (voire seulement le tiers) figurent parmi les plus universellement connus du Thin White Duke. Ce choix est assumé et ce concept se tient. Il représente néanmoins un gros risque pour une production qui vise des salles de plus de 2000 places.

Et même si l’imposant groupe parvient en effet à reproduire les sonorités des disques et à les porter sur scène – on pense entre autres à Warszawa, très réussie –, on se trouve devant un drôle de paradoxe : placés en arrière-plan, concentrés sur leurs instruments (il y a même des lutrins sur lesquels on devine des partitions sur scène), ils ne contribuent pas à l’esprit rock du spectacle. Trop statiques. Tout ça est impeccable, mais justement, c’est trop sage. Les qualités de Heroes/Bowie/Berlin n’arrivent jamais à faire oublier l’essentiel : on n’y sent pas Bowie, ni ses extravagances.

Heroes/Bowie/Berlin est présenté le 3 juin au Grand Théâtre de Québec, ainsi qu’à Joliette, Ottawa, Trois-Rivières et Montréal plus tard cet été et cet automne.

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