Ce n’était pas un dieu grec, mais sa musique était divine. Vangelis Odysseas Papathanassiou, mieux connu sous le nom de Vangelis, s’est éteint dans la nuit de mardi à mercredi, à l’âge de 79 ans. Selon des informations parues dans divers médias grecs, il avait été admis dans un hôpital en France à cause de la COVID-19.

Une grosse perte pour le monde musical.

Compositeur prolifique, sorcier des claviers, pionnier de la musique électronique et figure majeure de la musique de film des 50 dernières années, Vangelis avait notamment reçu un Oscar pour sa trame sonore du film Chariots of Fire en 1982, et des nominations aux Golden Globes pour les musiques de Blade Runner en 1983 et 1492 : Christophe Colomb en 1993.

Actif jusqu’à tout récemment, il avait lancé Juno to Jupiter en 2021, une œuvre à caractère sidéral.

Moins connu en Grèce que l’immense Mikis Theodorakis, Vangelis n’en était pas moins considéré comme un trésor national en raison de son rayonnement international pendant plus d’un demi-siècle.

Le premier ministre grec Kyriàkos Mitsotàkis lui a d’ailleurs rendu hommage sur les réseaux sociaux, mercredi. « Vangelis Papathanassiou n’est plus parmi nous. Le monde de la musique a perdu [l’artiste] international Vangelis », a déclaré l’homme politique sur Twitter.

M. Mitsotàkis a aussi rappelé que le deuxième prénom de Vangelis était Ulysse. « Pour nous les Grecs, cela signifie qu’il a commencé son grand voyage sur les chariots de feu. De là, il nous enverra toujours ses notes. »

Fils d’Aphrodite

Né en 1943 à Volon, en Thessalie, ce musicien autodidacte commence sa carrière en Grèce au début des années 60 au sein du groupe « yéyéllénique » The Forminx, avant de connaître ses premiers succès européens avec les très psychédéliques Aphrodite’s Child.

Ce trio de musiciens grecs, qui a aussi révélé le chanteur Demis Roussos, s’était exilé en France en 1968, après avoir été refoulé à la frontière britannique. Sa courte existence sera jalonnée de plusieurs tubes (Rain and Tears, It’s Five O’Clock, End of the World) et se terminera en 1971 avec l’apocalyptique double album 666, aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre du rock progressif.

Tandis que Demis Roussos prend la voie commerciale, Vangelis se plonge dans la musique instrumentale et s’impose comme un pionnier de la scène électronique, au même titre que Kraftwerk, Tangerine Dream et Jean-Michel Jarre.

Installé à Londres au milieu des années 70, où il a ouvert un studio, le musicien enfile les albums aux sonorités synthétiques comme Spiral, Baubourg ou Albedo 0,39, ainsi que des musiques pour documentaires animaliers (La fête sauvage, Opéra sauvage, L'apocalypse des animaux) qui confirment son talent pour les atmosphères, entre musique rythmique et contemplative, un mélange qu’il explorera toute sa vie.

Au début des années 1980, Vangelis s’impose définitivement comme un artiste majeur de son temps. D’abord au cinéma, avec les trames sonores de Chariots of Fire et Blade Runner, mais aussi dans la pop, avec le succès de Friends of M. Cairo, qu’il réalise avec Jon Anderson, l’ancien chanteur du groupe Yes. La boucle est bouclée, puisque quelques années plus tôt, le compositeur avait refusé de rejoindre la formation prog anglaise en remplacement de Rick Wakeman, par peur de perdre sa liberté créative.

En orbite

Parmi d’autres collaborations notables, Vangelis a réalisé l’album Odes pour l’actrice grecque Irène Papas (1979) et signé des musiques de film pour Costa-Gavras (Missing), Roman Polanski (Lunes de fiel) et Oliver Stone (Alexandre).

Mais depuis les années 2000, on retient surtout ses contributions à l’exploration spatiale. Il signe en 2001 le thème de Mythodea, pour les missions de la NASA vers la planète Mars, et celle de la sonde Rosetta, mise en orbite en 2012 par l’Agence spatiale européenne. Sans oublier Juno to Jupiter, une œuvre concept numérique et interactive, mise en ligne en 2021.

Plus terre à terre, on lui doit aussi l’hymne de la Coupe de monde de soccer en 2002. Oubliable.

Monstre sacré, Vangelis était aussi une figure publique rare. On garde l’image d’un barbu inaccessible, reclus dans ses studios pour explorer l’univers des sons. Ces dernières années, il affirmait ne plus vouloir monter sur scène, par crainte d’un choc avec son public, qui lui aurait fatalement réclamé ses vieux succès.

Malgré sa notoriété, son rapport à l’industrie musicale était celui d’un marginal, loin du star system.

Sa musique pouvait avoir un côté pompeux, grandiloquent, des fautes de goût. Certains de ses albums ont moins bien vieilli. Mais l’odyssée de Vangelis n’en demeure pas moins particulière. Peu de compositeurs ont aussi bien concilié le commercial et l’avant-garde, l’émouvant et le savant, le terrestre et le cosmique, le familier et l’exotique. Génie peut-être pas, mais un monument oui. C’était le Parthénon de la musique électronique.